Bâtisseurs d’un monde meilleur

Implantés en Île-de-France depuis 2012, les Compagnons bâtisseurs animent des ateliers de bricolage et mènent des chantiers d’autoréhabilitation avec les habitants de logements dégradés.

Hervé Bossy (collectif Focus)  • 13 février 2019 abonné·es
Bâtisseurs d’un monde meilleur
© crédit photos : Hervé Bossy

B onjour madame, c’est les Compagnons bâtisseurs. Vous avez vu les affiches ? On est là pour vérifier que vous n’avez pas de fuite d’eau. Vous voulez bien nous laisser entrer ? » La porte s’entrouvre. Brahim Meziane, la trentaine souriante, n’a pas son pareil pour déjouer la méfiance de certains habitants.

Ce jour-là, l’animateur technique de l’atelier de Clichy-sous-Bois et une dizaine d’animateurs et de bénévoles des autres ateliers des Compagnons bâtisseurs en région parisienne mènent une action d’envergure dans la copropriété de La Pelouse. Alertés par Urbanis (1), qui s’inquiète de la consommation excessive d’eau de cette copropriété, due sans doute à des fuites ou à des compteurs défectueux, les compagnons bâtisseurs ont, trois jours durant, enchaîné les visites d’appartement. Une occasion d’installer des mousseurs sur les robinets n’en disposant pas et de faire un peu de prévention-information. « Avec ce dispositif, vous pouvez réduire votre consommation d’eau de 50 % », explique Brahim à une habitante. « C’est gratuit, ne vous en faites pas », la rassure l’animateur quand elle s’enquiert du coût de l’installation. Puis il lui demande si elle a d’autres problèmes dans son appartement.

Ce type d’action n’est pas au centre des missions de l’association des Compagnons bâtisseurs, dont l’objectif est d’abord de lutter contre le logement indigne. « Il est très rare que nous fassions une action en lien avec des sociétés privées. Elles font appel à nous car nous sommes pratiquement les seuls acteurs sur le terrain, et les habitants nous ouvrent la porte plus facilement qu’à des intervenants inconnus. Sans nous, ce genre d’action serait presque vain », explique Élise Bourdon, l’animatrice habitat de l’atelier de Clichy-sous-Bois. Pour elle, jeune urbaniste, c’est aussi un moyen d’élargir le périmètre d’action de son atelier. « Cette prestation nous permet de rencontrer beaucoup d’habitants qui ne nous connaissent pas encore ou qui n’ont jamais osé venir à notre rencontre, et qui pourraient être intéressés par ce que nous proposons : dépannage pédagogique, chantier d’autoréhabilitation, cours de bricolage… » Dans ce quartier, les logements sont en effet très souvent dégradés et l’action de l’association se révèle salvatrice pour beaucoup de foyers, notamment lorsque les bailleurs n’assurent pas leur mission d’entretien.

Les Compagnons bâtisseurs d’Île-de-France voient le jour en 2012, lorsque l’association Bien habiter en Seine-Saint-Denis, cofondée par Olivier Horvais, aujourd’hui directeur de l’association, rejoint le mouvement. « Notre idée était d’accompagner des personnes dans les petits travaux de bricolage et l’entretien de leur logement et, à travers cela, de les aider sur d’éventuelles problématiques d’insertion, expose-t-il. Lorsque nous nous sommes rendu compte que nous étions en train de réinventer ce que les Compagnons bâtisseurs faisaient déjà depuis plus de vingt ans, nous nous sommes joints à eux. »

Le projet est alors financé par l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé), la Fondation de France et la Fondation Abbé-Pierre, qui aident à déterminer les territoires sur lesquels agir et convainquent les partenaires. En 2012, le premier atelier ouvre à Montreuil « sous l’égide de l’Association nationale des compagnons bâtisseurs, car il fallait une structure déjà connue et légitime pour être crédible face aux bailleurs et aux pouvoirs publics », souligne Olivier Horvais. C’est seulement en 2014 que l’Association des compagnons bâtisseurs Île-de-France est devenue porteuse des projets. Villetaneuse, L’Île-Saint-Denis, La Courneuve, Bobigny… Dix ateliers de quartier ont depuis ouvert et développent leurs actions sur deux axes : l’individuel et le collectif.

Dépannages pédagogiques

Au bord du périphérique, dans le dernier atelier ouvert par l’association à la porte de Bagnolet, Aïda Al Motamassik, architecte de formation et animatrice technique, prépare l’animation de la semaine : un cours de pose de carrelage dans un atelier situé entre deux tours de la cité Python. « Ces animations collectives sont très importantes pour créer une dynamique de quartier. Quand nous sommes arrivés ici, en 2017, les habitants étaient en colère car ils attendaient depuis dix ans un plan de rénovation. Nous avons eu du mal à nous intégrer, il a fallu faire nos preuves. » Les animations collectives ont permis de développer un climat de confiance et une vingtaine de chantiers d’auto-réhabilitation ont vu le jour. « Ces chantiers, visent à rénover une ou deux pièces d’un foyer mais nous ne sommes pas des prestataires. On fournit le matériel et on rend les habitants autonomes dans les corps de métier en les formant et en travaillant avec eux. L’objectif est de leur donner envie de s’approprier leur logement. »

Parallèlement à ces chantiers importants, qui s’étalent sur plusieurs jours, l’atelier propose une « outilthèque », où chacun peut venir emprunter ce dont il a besoin, et des « dépannages pédagogiques » à la demande. « Ce sont de petits travaux de moins d’une demi-journée, comme la pose d’une tringle à rideau ou d’un robinet. C’est un moyen pour nous d’accéder aux logements et d’identifier des problèmes plus urgents, comme une installation électrique défaillante ou une situation d’insalubrité. Cela aboutit souvent à un chantier d’autoréhabilitation. »

© Politis

Yamina, venue avec sa fille d’une dizaine d’années au cours de pose de carrelage, va bientôt recevoir l’aide des compagnons dans son logement pour un chantier. Très impliquée dans la vie de l’atelier, elle complète les explications données par Aïda. « Je suis déjà en train de refaire le carrelage de ma salle de bains, je commence à bien connaître », raconte celle qui vient aussi aux animations pour passer un moment convivial. « L’atelier permet de nous évader de la maison, de discuter autour d’un thé. » Et les discussions dans ce quartier tournent souvent autour des travaux du Grand Paris. « Ils vont tout démolir autour, sauf nos trois tours. Ceux qui veulent partir le peuvent mais moi je reste », détaille Yamina. Sa voisine Aziza ajoute : « Les travaux vont durer cinq ou six ans, c’est long, mais si on veut avoir le chic, il va falloir supporter la poussière ! »

Toutes les six semaines, les équipes des ateliers rencontrent leurs financeurs. De manière générale, ce sont les bailleurs sociaux, la CAF, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), mais aussi des structures privées comme la Fondation Rexel, dans le cas de l’atelier de la porte de Bagnolet. « On ne rend pas compte de ce que l’on fait, on n’a pas d’objectifs chiffrés. On parle de cas concrets et on relaie les problématiques des habitants », indique Aïda.

Au plus près des habitants, les Compagnons bâtisseurs jouent aussi un rôle de médiation. Ils sont en lien avec les services d’hygiène de la mairie ou de l’Agence régionale de santé. Ils donnent l’alerte en cas de présence de nuisibles ou d’autres problèmes. « Nous aidons également les habitants à faire valoir leurs droits. Ça peut être l’occasion de les rappeler aux bailleurs et aux pouvoirs publics. La peur freine souvent l’action, et les situations empirent. Notre rôle est alors de faire de l’accompagnement administratif, en cas de sinistre par exemple, pour établir le lien avec les assurances », ajoute Élise Bourdon.

Le budget annuel d’un atelier varie entre 90 000 et 120 000 euros. « La masse salariale représente 70 % du budget », précise Olivier Horvais. Les budgets de chaque atelier sont votés pour trois ans et tous les ateliers ont leur propre comptabilité, même si c’est l’association régionale qui centralise, tout en différenciant bien les contributions. Mais traiter avec des partenaires institutionnels n’entraîne-t-il pas une forme de censure ou de modération dans les actions ? « Non, assure Olivier Horvais. C’est clair d’entrée de jeu, nos ateliers visent à travailler auprès des personnes les plus en difficulté en nous appuyant sur les politiques publiques. Le travail de plaidoyer et de lobbying contre le mal-logement effectué par l’association nationale se poursuit localement avec les acteurs et les élus locaux que nous rencontrons. Quel que soit le militantisme que l’on développe individuellement par ailleurs, nous sommes réunis autour du même objectif : la lutte contre la précarité. »

(1) Opérateur du Programme opérationnel préventif d’accompagnement des copropriétés.

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