Algérie : La rançon du pétrole

Au lieu de relancer l’investissement, la rente des hydrocarbures a servi à enrichir la caste au pouvoir.

Sabina Issehnane  • 6 mars 2019 abonné·es
Algérie : La rançon du pétrole
© Photo du bassin pétrolier d'Hassi Messaoud prise en janvier 1971.crédit : KEYSTONE / Keystone/AFP

La France a les yeux tournés vers l’Algérie à l’heure où Abdelaziz Bouteflika vient de faire déposer par ses représentants sa candidature pour un cinquième mandat, suscitant la révolte de la population algérienne – dont 45 % a moins de 25 ans. Le silence du gouvernement français ne laisse pas d’interroger. La classe politique est plus soucieuse de la stabilité des rives nord de la Méditerranée que des populations du Maghreb réduites au chômage et à la pauvreté. Et les intérêts économiques de la France sont bien présents dans le silence gêné de sa chancellerie.

L’Algérie fait partie des quatre plus gros fournisseurs de gaz en France – deuxième destinataire des exportations algériennes. Mais le pays constitue également un débouché important pour les entreprises françaises : la France est au deuxième rang de ses partenaires commerciaux, derrière la Chine. Cent trente ans de colonisation française et les liens tissés entre les deux pays après l’indépendance ne devraient pas laisser indifférent le président français face aux manifestations contre le régime dictatorial aux abois. On a connu la France plus réactive dans d’autres situations.

Penser un horizon des possibles pour l’Algérie, c’est non seulement faire naître l’espoir d’un renouveau démocratique, mais aussi envisager les moyens d’une sortie du « syndrome hollandais ». Celui-ci tire son nom de la situation qu’ont connue les Pays-Bas dans les années 1970, après la découverte d’un important gisement de gaz. Il désigne les effets pervers de cette rente issue des matières premières, qui a entraîné un gonflement des exportations en hydrocarbures et, parallèlement, une désindustrialisation du pays.

Dix-huitième producteur mondial de pétrole, dixième de gaz naturel, l’Algérie souffre de cette maladie. Au lieu de relancer l’investissement face à une désindustrialisation dramatique, sa rente a servi à enrichir la caste au pouvoir. Dépendant de cette rente, le pays a vu son économie se fragiliser à la suite de la forte chute du prix du baril de pétrole en 2014, qui a alors été divisé par deux. Cette rente constitue le quart de son PIB et presque l’intégralité de ses exportations. La dégradation de son solde courant et de ses réserves de change, plus que nécessaires pour un pays dont la monnaie est non convertible, ne permet plus d’acheter la paix sociale.

Certes, l’État algérien a redistribué une partie de la rente pétrolière et gazière à la population (construction de logements sociaux, extension des services publics comme la fourniture de gaz et d’électricité et les réseaux de transport). Mais, depuis la chute du cours du pétrole, il comprime les dépenses publiques. Or l’économie algérienne est également dépendante des importations de produits de consommation et d’équipement.

L’aggravation des difficultés sociales que vivent les Algériens a fait déborder le vase. Et si le soulèvement actuel porte l’espoir d’un horizon démocratique, il pose aussi la question d’un véritable développement de l’économie algérienne.

Sabina Issehnane Maître de conférences à Rennes-II

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