Ode à la résilience portoricaine

Naomi Klein met en lumière les phénomènes d’auto-organisation solidaire qui ont émergé après le passage de l’ouragan Maria.

Vanina Delmas  • 27 mars 2019 abonné·es
Ode à la résilience portoricaine
© photo : Manifestation à Washington en soutien à Porto Rico, le 19 novembre 2017.crédit : W.G. DUNLOP/AFP

En septembre 2017, l’ouragan Maria ravageait Porto Rico. Le premier bilan officiel, dénombrant 64 morts, a été largement sous-estimé puisqu’il est monté à près de 3 000 personnes un an après. En cause, l’après-tempête et sa gestion désastreuse par l’administration Trump : l’eau, l’électricité, le téléphone et les routes sont restés coupés durant de longs mois, isolant davantage encore les habitants rescapés et empêchant l’accès aux soins. Donald Trump jetant des rouleaux d’essuie-tout aux survivants tout en alléguant que l’aide financière aux Portoricains a « chamboulé » le budget américain n’est que la face visible de la relation entre l’île des Caraïbes et les États-Unis.

Six mois après, la journaliste canadienne Naomi Klein s’est rendue pour le journal The Intercept sur ce territoire toujours ankylosé. Dans cette version longue de son reportage-enquête, elle poursuit avec vigueur son décryptage de la « stratégie du choc », phénomène expliqué dans son livre éponyme publié il y a plus de dix ans : comment le « capitalisme du désastre » se construit sur l’état de choc lié aux guerres ou, cette fois-ci, à une catastrophe dite naturelle. C’est donc une histoire de la vulnérabilité et de la résistance par la base aux chocs en cascade, sur ce bout de terre ultra-dépendant du carcan américain pour le carburant, les denrées et l’énergie, et subissant les vagues d’austérité incessantes et une relation coloniale qui ne s’est jamais tarie.

Dès le premier chapitre, Naomi Klein pose une question aussi simple que perspicace : « À qui appartient Porto Rico ? Aux Portoricains ou aux gens de l’extérieur ? » Au-delà du portrait de l’île défigurée, elle esquisse les deux visages antagonistes de la lente reconstruction. D’un côté, le « projet libertarien surnommé Portopie que l’on évoque dans les salons d’hôtels de luxe à San Juan et à New York », visant à tirer profit de cette catastrophe en transformant l’île en paradis de la cryptomonnaie et de l’évasion fiscale. De l’autre, l’auto-organisation solidaire, locale et durable incarnée par la Casa pueblo, cette « oasis solaire » qui a continué à fournir de l’électricité après l’ouragan, ou bien la ferme biologique d’Orocovis, qui a permis de récolter des légumes racines quand 80 % des récoltes ont été détruites et que les ports étaient bloqués.

Ces « îlots d’autosuffisance » et « de souveraineté » mûrissent et essaiment jusqu’à construire leur propre « archipel politique parallèle » : l’organisation politique JunteGente. Le mécanisme d’effondrement était enclenché bien avant le passage de la tempête, mais prôner la résilience comme réflexe plutôt que le recours au néolibéralisme débridé relève du devoir d’intérêt général et de la dignité d’un peuple. Car, au fond, une autre question se pose : qui sont les vrais utopistes ?

Le Choc des utopies. Porto Rico contre les capitalistes du désastre Naomi Klein, traduit de l’anglais par Julien Besse, Lux éditeur, 128 pages, 12 euros.

Idées
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