« Les réformes Blanquer multiplient les arnaques »

Pour les parents d’élèves, les lois en préparation dans le cadre de « l’école de la confiance » accroîtront les inégalités au lieu de les résorber, explique Rodrigo Arenas, de la FCPE.

Ingrid Merckx  • 23 avril 2019 abonné·es
« Les réformes Blanquer multiplient les arnaques »
© photo : Une manifestation d’enseignants le 19 mars à Toulouse. crédit : Frédéric Scheiber/Hans Lucas/AFP

Pas de fusion collèges-écoles à la rentrée 2019 en Val-de-Marne, a assuré le 18 avril la directrice académique du département, Guylène Mouquet-Burtin, alors qu’une partie de la colère contre la loi sur l’école de la confiance s’est focalisée sur un amendement instaurant ce type de regroupement. « Cela se fera sur la base du volontariat », a tenté de rassurer le ministre Jean-Michel Blanquer le 28 mars sur France Inter, en mettant en garde parents et enseignants contre les « rumeurs » et la « mauvaise compréhension ». Mais tous ne croient pas le ministre « de la confiance ».

Une nouvelle structure, nommée « établissement public des savoirs fondamentaux », agit comme le révélateur de l’esprit administratif et gestionnaire qui préside à ce texte. Lequel décline d’autres mesures inquiétantes, comme un contrôle de l’expression des enseignants vis-à-vis des politiques d’éducation, la volonté d’envoyer des étudiants devant des classes sans formation ni tuteur, la suppression du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), la fin des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espe), et le financement de maternelles privées pour les 2-3 ans par les communes. Il s’ajoute à la grogne contre Parcoursup, plateforme qui régit l’entrée à l’université en reconduisant les inégalités sociales et en forçant une orientation précoce. Sans compter les polémiques sur le contenu des programmes par matière… Les mobilisations contre les lois Blanquer se multiplient, avec notamment des occupations d’établissements, des « nuits des écoles » et des journées de retrait de l’école. Après les mobilisations des enseignants en septembre et celles des lycéens réprimées cet automne, la balle semble passer dans le camp des parents. Entretien avec Rodrigo Arenas, coprésident de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE).

Le ministre de l’Éducation a présenté son projet sur « l’école de la confiance » en septembre. Les enseignants sont partis vent debout mais les parents d’élèves ne se mobilisent que maintenant. Pourquoi ?

Rodrigo Arenas : Pendant des mois, ce gouvernement a laissé entendre qu’il y avait une place pour le dialogue social. Les parents ont mis du temps à comprendre qu’il ne répondait qu’au rapport de force et que le mouvement social pouvait peser sur les politiques publiques. Ensuite, de nombreux parents pensent que les difficultés ne frappent que les enfants des autres. Mais le sens collectif est en train de se reconstruire. Le discours se muscle face à la gravité des enjeux.

En effet, une révolution idéologique est en train de se développer dans les écoles. Programmes, procédures, technocratisation, attitude d’un ministre qui n’entend rien au dialogue social et contourne constamment les corps intermédiaires : on assiste à une taylorisation du métier d’enseignant. L’existence d’un savoir-faire et celle d’un savoir-être des enseignants sont niées, et ceux-ci se sentent violentés. La seule parole qui semble mériter d’être entendue, c’est celle de celui qui fait les réformes. Le ministre se veut en prise directe avec une population qui, pour une bonne part, est désarmée face à la technicité des lois. C’est un vrai problème démocratique.

La présidence de Nicolas Sarkozy, avec Xavier Darcos à l’Éducation, a été assez violente pour les enseignants. Est-ce pire aujourd’hui ?

Il y avait plus de dialogue social alors. Quand les corps intermédiaires sont reçus au ministère, aujourd’hui, c’est pour se voir expliquer qu’ils ont tort ou qu’ils n’ont rien compris. Mais on comprend très bien ! Les analyses de la FCPE s’appuient sur des recherches qui ne se limitent pas aux neurosciences qu’affectionne le ministère. Il existe aujourd’hui un biais sur l’orientation : on demande aux élèves de choisir de plus en plus tôt ce qu’ils feront, alors qu’ils n’ont pas les outils pour choisir ni la maîtrise des mécanismes de reproduction sociale. Les enseignants se retrouvent à faire les pompiers ou les VRP de réformes auxquelles ils ne croient pas. La réforme du lycée ne va rien changer à l’ensauvagement du supérieur : ce n’est pas parce qu’on a changé les critères de sélection sur la plateforme Parcoursup qu’on a réglé la crise des débouchés à l’université.

La réforme du lycée et la loi « confiance » nient la spécificité du métier d’enseignant et ne répondent pas aux angoisses des parents. En outre, les enfants constatent que les matières qu’on leur enseigne et les méthodes auxquelles ils sont soumis ne leur permettent pas d’agir sur le monde. Ceci fait qu’une nouvelle alliance s’est mise en place entre enseignants, parents et élèves. On ne répond pas à une demande d’humanisme et de pédagogie par de la technocratie. Les réformes voulues par Jean-Michel Blanquer ne répondent pas à l’injustice sociale et multiplient les arnaques.

Les effectifs enseignants baissent tandis que ceux des élèves augmentent. Quelle est la logique ?

Cela dépend des endroits. La territorialisation fait que, selon le lieu où vous habitez, les moyens de l’école ne sont pas les mêmes. Idem pour le mode de recrutement des enseignants. Des classes à 12 élèves, c’est mieux qu’à 24, mais le dédoublement des CP-CE1 n’a pas changé les étapes pédagogiques. Il faut mettre en place des systèmes coopératifs entre enseignants inclus dans leur temps de travail. Et les communes qui mettent en place des dédoublements devraient bénéficier d’une enveloppe supplémentaire. L’école ne devrait pas dépendre de la richesse des lieux. L’étude Pisa, quoi qu’on en pense, montre une corrélation entre les résultats des élèves et le degré de formation des enseignants. Les élèves qui ont les meilleurs résultats sont ceux qui ont eu les enseignants les mieux formés. L’école française n’enraye pas les inégalités, elle les augmente.

En quoi les « établissements publics des savoirs fondamentaux » (regroupements primaire-collège susceptibles de faire disparaître des postes de directeurs d’école) inquiètent-ils les parents d’élèves ?

Avec ces EPSF, la personne qui régule le climat scolaire dans un établissement et qui va prendre en compte les difficultés que peut traverser une famille ne sera plus forcément présente dans l’école, ou alors soumise à un fonctionnement managérial émanant du collège. Or, quand il y a un problème de règlement de la cantine ou un conflit entre un parent et un enseignant, par exemple, le directeur réunit les concernés pour voir avec eux comment régler le problème. Il a une approche humaine.

La réforme du lycée continue-t-elle à mobiliser ?

Oui : il y a des parents révoltés, des parents fatalistes et d’autres qui estiment que leur capital familial permettra à leurs enfants de s’en sortir de toute façon. La démarche de sélection reproduit les schémas installés. Les parents choisissent pour leurs enfants la filière qui, dans leur système de représentation, va les conduire vers un bon statut social.

La réforme du lycée devait permettre que l’élève soit acteur de son orientation. Mais les études montrent que plus on est « CSP – », plus on a de mal à choisir la bonne orientation. Notre modèle est encore calqué sur celui des grandes écoles, lesquelles ne servent pas à former des salariés compétents mais à s’acheter un statut social. Les lycéens l’ont bien compris en dénonçant la sélection sociale induite par Parcoursup : la plateforme ne permet pas de choisir sa filière, car les critères de sélection des universités ne sont pas connus. Avant, le bac offrait la possibilité de s’inscrire dans la filière de son choix. La reproduction sociale est plus violente aujourd’hui.

Comment peser sur les réformes ?

Le vrai problème, c’est l’orientation générale prise par l’école. La FCPE lance une grande campagne dans laquelle elle demande aux parents de réfléchir aux inégalités et de faire des propositions. On les remettra au ministre mi-mai. Si on ne répond pas aux questions que posent les collégiens et les lycéens face à l’urgence écologique, notamment, on se dirige vers une rupture démocratique, car les seuls qui pourront se protéger des catastrophes seront ceux qui en auront les moyens. On peut supprimer l’ENA, mais les élèves qui concouraient pour cette école d’administration se tourneront vers les écoles de commerce, qui leur garantiront le statut social pour lequel ils ont été élevés. La formation des élites ne se fait plus sur le capital intellectuel, mais sur le capital financier.