Theresa May l’européenne

Si aucune solution miracle ne vient abréger le feuilleton du Brexit, les Britanniques devront se rendre aux urnes le 26 mai pour élire leurs députés… européens.

Patrick Piro  • 12 avril 2019
Partager :
Theresa May l’européenne
© Photo : THIERRY ROGE / BELGA MAG / Belga

En novembre, alors que le vaudeville du Brexit n’en était qu’aux prémices des impensables péripéties auxquelles nous assistons aujourd’hui, un commentateur fit sensation au cours d’un débat portant sur l’accord de divorce enfin mis au point par les Vingt-Sept et le gouvernement britannique. Plus ajusté que ses interlocuteurs sur les réalités britanniques et la personnalité de la Première ministre, il se démarquait de la prophétie généralement admise d’une démission imminente de Theresa May, en fort mauvaise posture sur tous les fronts. De fait, après cinq mois passés à ferrailler dans le chaudron d’un Parlement où elle a perdu la majorité, pour survivre à la tête du parti conservateur, à quémander à Bruxelles des modifications de l’accord et des délais pour emporter le vote des députés britanniques, à compter les démissions au sein de son gouvernement, elle est toujours à barre. Et alors que la sortie « sans accord », ce « no deal » épouvantail, allait s’imposer de facto le 12 avril faute de solution consensuelle, May a arraché in extremis mercredi soir six mois supplémentaires pour sortir le pays de l’ornière, période pendant laquelle les Vingt-Sept vont contrôler les avancées britanniques.

Dans la presse britannique, c’est le déchaînement contre May : le pays est « humilié », tel un ado renvoyé au rattrapage après avoir raté son bac et mis sous observation par ses parents. Pourtant, quoi qu’on pense de la personnalité de May et de ses options politiques : sa ténacité, son courage et son habileté manœuvrière forcent l’admiration. Et l’on s’épargnerait de l’avouer si la Première ministre n’était pas sur le point de réaliser un tour de force.

Car en tenant bon face à une classe politique pusillanime qui, sous l’influence des Brexiters durs, dit « no » à toutes les options depuis des semaines, face aux fanfaronnades de conservateurs prétendant à sa succession pour « déchirer l’accord » (et donc acter le no deal), la Première ministre, certes à son corps défendant, est parvenue à guider le pays jusqu’à ce bord de falaise d’où l’on aperçoit le vide en bas. Là où le principe de réalité commence enfin à s’imposer.

Alors que se sont débinés tous les responsables du vote « no » de 2016 décidant du départ du Royaume-Uni (Cameron, Farage, Johnson…), l’opinion convient désormais majoritairement qu’on l’a enfumée sur les vertus supposées du Brexit. La pétition lancée fin mars « pour prouver la force du soutien public pour rester dans l’Union » a recueilli en trois semaines le nombre vertigineux de six millions de signatures. Devant la paralysie du pays, l’influent éditorialiste conservateur Peter Oborne vient d’annoncer, par un spectaculaire mea culpa, qu’il renonçait à soutenir le Brexit, réalisant le mirage des promesses économiques, l’enjeu clef de la paix en Irlande, et surtout l’ignorance crasse qu’il avait de l’intérêt de l’Union pour son pays.

Ultime facétie de cet impayable Brexit : si aucune solution miracle ne vient abréger auparavant le feuilleton, les Britanniques, techniquement toujours citoyens de l’Union, devront se rendre aux urnes le 26 mai pour élire leurs députés européens… Alors que ni les conservateurs ni les travaillistes (dans une moindre mesure) n’ont eu le courage de défendre une nouvelle consultation du peuple sur le Brexit, voie honorable de sortie de crise, les électeurs pourraient bien détourner ce scrutin imposé pour en faire un « référendum bis ». En votant par exemple selon un seul critère : le positionnement des candidats (un peu mieux étayé qu’en 2016…) sur le Brexit – re-« yes », ou « no ».

Monde
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Droit international : quand règne la loi du plus fort
Monde 9 juillet 2025 abonné·es

Droit international : quand règne la loi du plus fort

Les principes du droit international restent inscrits dans les traités et les discours. Mais partout dans le monde, ils s’amenuisent face aux logiques de puissance, d’occupation et d’abandon.
Par Maxime Sirvins
Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face

Depuis les traités de Westphalie, le droit international s’est construit comme un champ en apparence neutre et universel. Pourtant, son histoire est marquée par des dynamiques de pouvoir, d’exclusion et d’instrumentalisation politique. Derrière le vernis juridique, le droit international a trop souvent servi les intérêts des puissants.
Par Pierre Jacquemain
La déroute du droit international
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

La déroute du droit international

L’ensemble des normes et des règles qui régissent les relations entre les pays constitue un important référent pour les peuples. Mais cela n’a jamais été la garantie d’une justice irréprochable, ni autre chose qu’un rapport de force, à l’image du virage tyrannique des États-Unis.
Par Denis Sieffert
Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier