Sauver la planète grâce aux high-tech ?

Les apprentis sorciers ne manquent pas de capital.

Hélène Tordjman  • 11 septembre 2019
Partager :
Sauver la planète grâce aux high-tech ?
© crédit photo : GARO / Phanie / AFP

De plus en plus, les « solutions » proposées pour ralentir la dégradation écologique de la Terre relèvent de hautes technologies récemment développées et sur lesquelles nous n’avons pourtant aucun recul. Par exemple, le Giec mentionne maintenant plus facilement les techniques de la géo-ingénierie. Celles-ci visent à agir sur les grands équilibres de la biosphère pour « réparer la Terre » : fertiliser les océans pour favoriser le phytoplancton, qui absorbe beaucoup de CO2 ; réfléchir le rayonnement solaire en vaporisant divers types de nanoparticules dans l’atmosphère ; ou capturer le carbone émis par les industries et l’envoyer dans les profondeurs de la croûte terrestre. Un autre ensemble de techniques dont on attend beaucoup est celui des biotechnologies : machines, outils et usines « biologiques », micro-organismes fabriqués pour transformer de la biomasse en essence, « édition » des génomes, forçage génétique (gene drive).

Le forçage génétique consiste à obliger un organisme à exprimer un gène ou une mutation génétique avec une probabilité proche de 1 (c’est-à-dire que l’événement est presque sûr), ce qui n’est pas le cas dans la nature, où il y a du hasard. On envisage ainsi de « produire » des moustiques génétiquement modifiés et qui transmettent obligatoirement la modification à leur descendance. Relâcher des moustiques ou des « mauvaises » herbes stériles dans l’environnement permettrait par exemple de se débarrasser rapidement de toutes les espèces et variétés qui nous embêtent.

Les applications agricoles et militaires de cette technique sont vertigineuses, mais certainement pas de nature à sauver la planète (1). La recherche est financée en particulier par la Darpa, agence militaire états-unienne très bien dotée et dont le but affiché est le changement disruptif, par plusieurs ministères de l’Agriculture, de l’Énergie ou de la Recherche (États-Unis, Chine, Grande-Bretagne, France…), la Fondation Bill et Melinda Gates et d’autres fondations, des firmes transnationales comme Monsanto-Bayer, DuPont-Dow ou BP, engagées dans de multiples partenariats public-privé, et par du capital financier, equity funds et capital-risque, hedge funds… Autant dire que les apprentis sorciers ne manquent pas de capital.

En Europe, un rouage important de la décision publique est l’Efsa (Agence européenne pour la sécurité alimentaire), qui doit rendre un avis sur le gene drive en 2020. L’association Corporate Europe Observatory a révélé que les six experts qui forment le groupe de travail choisi par l’Efsa entretiennent tous des liens avec des firmes impliquées, et/ou bénéficient de financements de la Darpa ou de la Fondation Gates. Dans sa grande largeur d’esprit, l’Efsa n’a retenu que des biologistes très spécialisés : ni philosophie ni sciences sociales au menu (2). Quant aux peuples, ils en entendront parler lorsqu’une loi réglementant le forçage génétique sera discutée au Parlement européen, trop tard. Il est urgent de se saisir des choix techniques faits au nom de la « croissance verte ».


(1) Voir les publications d’ETC Group sur le site de l’association : www.etcgroupe.org.

(2) « EFSA gene drive working group fails independence test », CEO, 28 juin 2019, www.corporateeurope.org.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Tour de France : Franck Ferrand, commentateur réac’ toujours en selle
Médias 11 juillet 2025

Tour de France : Franck Ferrand, commentateur réac’ toujours en selle

Cette année encore, France Télévisions a reconduit Franck Ferrand aux commentaires en charge du patrimoine lors du Tour de France. L’historien, très contesté, fan de Zemmour et de thèses révisionnistes, n’hésite pas, insidieusement, à faire passer ses idées.
Par Pierre Jequier-Zalc
La CGT et le Tour de France : quand sport et luttes se marient bien
Luttes 11 juillet 2025

La CGT et le Tour de France : quand sport et luttes se marient bien

Si le Tour de France est avant tout un événement sportif, il permet aussi à des luttes sociales et politiques de mettre en avant leur combat. Comme lundi dernier, à Dunkerque pour sauver les emplois d’ArcelorMittal.
Par Pierre Jequier-Zalc
« Ils parlent d’échange de migrants comme si les personnes étaient des objets »
Entretien 11 juillet 2025 abonné·es

« Ils parlent d’échange de migrants comme si les personnes étaient des objets »

Alors qu’un accord d’échange des personnes exilées a été trouvé entre la France et le Royaume-Uni, Amélie Moyart, d’Utopia 56, revient sur les politiques répressives à la frontière et le drame qui a conduit l’association à porter plainte contre X pour homicide involontaire.
Par Élise Leclercq
Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020
Enquête 10 juillet 2025 abonné·es

Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020

L’homme, alias Napoléon de Guerlasse, est l’administrateur du site Guerre de France, qui servait au recrutement du groupe jugé pour association de malfaiteurs terroriste. Militant d’extrême droite soutenu par le parti lepéniste aux municipales de 2020, son absence au procès interroge.
Par Pauline Migevant