Corinne Morel Darleux : Cap sur l’archipel de la résistance

La militante écologiste Corinne Morel Darleux invite à s’interroger sur les façons de construire un imaginaire face à l’effondrement.

Vanina Delmas  • 30 octobre 2019 abonné·es
Corinne Morel Darleux : Cap sur l’archipel de la résistance
© Le navigateur Bernard Moitessier, « vagabond des mers du Sud », en 1968. AFP

En 1968, Bernard Moitessier prend le départ de la première course autour du monde à la voile, en solitaire et sans escale. Après des mois de navigation, le marin français est sur le point de franchir la ligne d’arrivée en vainqueur mais décide finalement de renoncer à cette victoire et de voguer vers l’océan Indien. « Je continue sans escale vers les îles du Pacifique parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme », écrit-il. Cette histoire méconnue du plus grand nombre et le « refus de parvenir » du « vagabond des mers du Sud » ont inspiré Corinne Morel Darleux pour son essai, qui invite à une introspection minutieuse afin d’appréhender au mieux l’effondrement civilisationnel qui a déjà commencé.

Le « je » s’invite régulièrement dans ses lignes car l’auteure aussi a vécu des changements de trajectoire. Dans son parcours professionnel : consultante en stratégie auprès des grandes entreprises du CAC 40, elle démissionne pour travailler au service éducation de la mairie des Lilas (Seine-Saint-Denis). Dans son parcours militant : du mouvement Utopia,
elle atterrit au Parti socialiste, pour bâtir
un socle écologique robuste, puis au Parti
de gauche et à La France insoumise,
qu’elle quitte en 2018. Dans son quotidien : elle s’est échappée du tourbillon parisien pour s’installer dans la Drôme. Une
(re)connexion à la nature, au vivant, qui guide ses réflexions sur les dérives de la société de consommation, créatrice de besoins superflus, face à cette nécessité d’inventer « une nouvelle frugalité qui, aujourd’hui synonyme de privations, puisse devenir source de satisfaction ».

D’un coup, elle nous remet les pieds sur terre en énonçant que, sur les dix limites planétaires identifiées par des chercheurs, quatre sont déjà dépassées : le changement climatique, l’extinction de la biodiversité, les cycles de l’azote et du phosphore. Et n’a pas peur d’affirmer que la stratégie du « chacun fait sa part » ne suffira pas, que chaque geste doit contenir une intention spécifique, et que les luttes collectives sont la clé. Philippe Descola, Hannah Arendt, Mona Chollet, Emma Goldman, Françoise Héritier, Édouard Glissant sans oublier les éléphants des Racines du ciel de Romain Gary… De nombreuses références étoffent ces trente-trois réflexions sur la fragilité du monde terrestre et l’élan d’émancipation pour « archipéliser » des îlots de résistance. Un petit essai gorgé de constats scientifiques, d’émotions personnelles, de sursauts poétiques, qui oblige à s’arrêter un instant et à prendre le temps de penser. Une bouffée d’air vitale.

Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce. Réflexions sur l’effondrement Corinne Morel Darleux. Libertalia, 104 pages, 10 euros.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

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