Ce que tolère la République

En accordant un entretien à _Valeurs actuelles_, Emmanuel Macron banalise la haine.

Sébastien Fontenelle  • 6 novembre 2019 abonné·es
Ce que tolère la République
© Ludovic MARIN / AFP

Ce 28 octobre, Emmanuel Macron, chef de l’État français, a tweeté, après qu’un ex-candidat du Front national eut tenté d’incendier ce bâtiment et tiré sur deux de ses fidèles : « Je condamne avec fermeté l’attaque odieuse perpétrée devant la mosquée de Bayonne. » Puis d’ajouter : « La République ne tolérera jamais la haine. »

La première de ces deux propositions était inexacte, car, petit un : il ne s’agissait bien sûr pas d’une « attaque » mais – aussi longtemps, du moins, que l’on souhaite garder un sens aux mots (1) – d’un attentat. Petit deux : il n’avait pas été perpétré « devant » la mosquée de Bayonne, mais bien contre ce lieu de culte musulman, et contre les pratiquants qui le fréquentent.

La seconde proposition, en revanche, était partiellement vraie. Car le chef de l’État français avait, peu de jours avant de l’écrire, accordé un – très – long entretien à l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, qui depuis des années prospère précisément dans la stigmatisation de l’islam (2) et dont un ancien directeur a été condamné pour « provocation à la discrimination, la haine ou la violence », mais auquel le lie, nonobstant ces caractéristiques particulières et comme l’a ensuite révélé une très instructive enquête du Monde, une complicité ancienne déjà (3), et rigolarde.

On relèvera, au passage, et pour ce que dit cette anecdote, qu’après avoir pris connaissance, avant publication, d’une première version de cet entretien, l’Élysée a sollicité (4), à la fin, peut-être, d’atténuer un peu l’effet de cette compromission, « une trentaine de modifications » – et que la rédaction de Valeurs actuelles, oubliant passagèrement qu’elle confectionne régulièrement de tapageuses couvertures déplorant qu’on ne puisse « plus rien dire » ou dénonçant « le retour de la censure », s’est, selon L’Opinion, prêtée à cet arrangement.

Mais l’important, ici, est donc qu’Emmanuel Macron, si l’on s’en tient aux mots dont il a usé là, ne mentait pas complètement, lorsqu’il a tweeté, le 28 octobre, immédiatement après qu’un attentat venait d’être perpétré contre une mosquée, que « la République ne tolérera(it) jamais la haine ».

Car, en effet, lorsque son président fait le choix, dans un contexte marqué par un déchaînement d’islamophobie d’une violence inouïe, d’accorder un entretien à un magazine qui a précisément fait de l’excitation de cette aversion l’un de ses fonds de commerce, il est juste de constater que la République, en délivrant ce blanc-seing, ne « tolère » pas la haine – mais qu’elle la banalise, qu’elle l’encourage et qu’elle l’excite.

(1) Et il est vrai que dans un quinquennat marqué par une orwellisation générale du discours étatique cela devient difficile.

(2) Mais aussi dans la fustigation des « assistés », des féministes, des migrant·e·s, des syndicalistes, des Roms (liste non exhaustive).

(3) « Entre Emmanuel Macron et Valeurs actuelles, les secrets d’un flirt », Ariane Chemin et François Krug, Le Monde, 31 octobre.

(4) « Macron dans Valeurs actuelles : l’interview qui a tétanisé l’Élysée », par Ivanne Trippenbach, L’Opinion, 1er novembre.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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