Française des jeux : Une privatisation à qui gagne perd

Malgré l’appel du gouvernement aux « petits porteurs », la privatisation devrait surtout profiter aux gros fonds d’investissement internationaux.

Erwan Manac'h  • 6 novembre 2019
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Française des jeux : Une privatisation à qui gagne perd
© JOEL SAGET/AFP

Oyez, braves « petits porteurs », la Française des jeux (FDJ), ses 25 millions de joueurs, ses 16 milliards d’euros de mise annuelle et son taux de marge pharaonique de 25 % sont en vente à partir du 7 novembre. Faites vos jeux : dans sa grande générosité, la Macronie offre une « privatisation populaire » qu’aucun pouvoir avant lui n’avait osé imaginer, en accordant même « une action gratuite pour 10 actions achetées ». Pour quelques dizaines d’euros par action, ce sont 52 % du capital de la FDJ qui doivent partir au détail.

À la lecture des conditions générales de vente, l’affaire est évidemment plus complexe. La privatisation devrait surtout profiter aux gros fonds d’investissement internationaux, les seuls taillés pour les gros coups. Les petits épargnants, eux, devraient se méfier de ce type de racolage actif. Les « valeurs » boursières des anciennes entreprises publiques font souvent le yo-yo en Bourse : EDF a été privatisée le 25 novembre 2005 à 32 euros par action et ne vaut plus aujourd’hui que 9 euros l’unité. Engie s’est arrachée à 28 euros le coupon en juillet 2005 avant de sombrer à 15 euros l’action aujourd’hui.

La comptabilité de l’opération, pour les caisses de l’État, est en outre sujette à caution. Le milliard d’euros espéré de cette vente doit être lui-même joué en Bourse sur « des actifs plus risqués [que la FDJ] » (Marie Lebec, rapporteuse LREM de la loi Pacte) afin de dégager une rente qui financera l’innovation. Cette trouvaille toute macronienne accentue la financiarisation de l’économie, dont la toxicité n’est plus à prouver.

Enfin, la loterie est certes un juteux business, mais également une activité hautement sensible. Ce n’est pas un hasard si la Loterie nationale, créée en 1933 pour récolter des fonds au profit des « gueules cassées », est restée dans le giron de l’État malgré les vagues successives de privatisation qui l’ont dépecée. Il s’agit d’une activité risquée, en matière de fraude et de blanchiment, comme d’addiction des joueurs. Une Autorité nationale des jeux est créée pour veiller à ces dérives, mais le garde-fou semble bien mince, notamment face à l’ambition affichée de croissance du secteur et au monopole dont continuera de jouir l’entreprise.

Quant aux 3,5 milliards d’euros que la FDJ verse chaque année à l’État sous forme de prélèvements fiscaux, ils demeurent, pour le moment. En attendant que les génies de l’évasion fiscale ne rendent cette taxe indolore ? Ce qui est déjà certain, en tout cas, c’est que l’État abandonne au privé 68 millions d’euros de dividendes annuels. Un sacré tirage.

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