Retraites : Un vice de réforme

Le système à points n’est pas un progrès, son objectif est même tout le contraire, quoi que puisse ânonner la novlangue macroniste.

Michel Soudais  • 18 décembre 2019 abonné·es
Retraites : Un vice de réforme
© Le cortège de la manif du 17 décembre, à Toulouse. Pascal PAVANI/AFP

L’épitaphe aurait de la gueule si elle n’était pas fausse. En réaction à la démission du haut-commissaire aux Retraites, Jean-Paul Delevoye, le président du groupe La République en marche, Gilles Le Gendre, a tweeté que « rien ni personne ne lui enlèvera d’avoir imaginé et conçu la réforme la plus juste et la plus protectrice en France depuis 1945 ». Dans cette affirmation, trois mots posent problème.

« Juste », c’est l’image qu’Emmanuel Macron veut donner du système de retraites qu’il projette et qui supprimera les régimes spéciaux. C’est ainsi encore qu’Édouard Philippe a présenté, devant le Conseil économique, social et environnemental, ce projet avant son adoption en Conseil des ministres, prévue le 22 janvier. « L’ambition d’universalité portée par le gouvernement est une ambition de justice sociale », y prétendait-il. Las, deux jours plus tard, les syndicats de police obtenaient le maintien de leur régime (ouverture des droits à 52 ans, départ à la retraite à 57 ans et bonification d’une année tous les cinq ans). La fin des régimes spéciaux n’est pas la fin des régimes spécifiques. Cette faveur contraste avec l’imposition pour tous les autres salariés d’un « âge pivot » à 64 ans, ou encore avec les fortes baisses de pensions promises aux enseignants (lire page 10).

« Protectrice » ? Comment un système qui prendrait en compte l’ensemble d’une carrière (42 ans a minima) pour le calcul des pensions au lieu des 25 meilleurs années ou des six derniers mois (pour les fonctionnaires) pourrait-il être plus protecteur ? Mathématiquement, c’est impossible. La réforme Balladur de 1993 permet d’entrevoir quel sera l’effet du nouveau mode de calcul : le passage des 10 meilleures années au 25 meilleures années pour le calcul des pensions s’est traduit par une baisse de celles-ci, de 16 % en moyenne pour les hommes et de 20 % pour les femmes. Contrairement aux dires du gouvernement, ces dernières ne seront pas « les grandes gagnantes de la réforme » : du fait du mode de calcul des futures pensions, de la perte d’avantages familiaux, et des modifications substantielles des droits aux pensions de réversion.

Peut-on parler de « réforme » pour un projet dont la nature régressive a été amplement documentée dans ces colonnes ? Même si, depuis trois décennies, les gouvernements successifs, qu’ils soient de droite ou réputés de gauche, ont persisté à qualifier ainsi des remises en cause plus ou moins importantes des droits sociaux ou de notre système de protection sociale, le commun des mortels persiste à entendre derrière le mot une amélioration des conditions de vie du plus grand nombre. C’est d’ailleurs le sens premier de ce mot dans tous les dictionnaires. La « réforme » est ainsi synonyme de progrès. Ce qui n’est pas le cas du projet du gouvernement.

En voulant nous imposer de changer de système de retraites pour construire « la protection sociale du XXIe siècle », explique pompeusement Édouard Philippe, le gouvernement affirme que le système actuel, à prestation définies, n’est plus adapté « aux réalités nouvelles du marché du travail » que sont « les carrières parfois heurtées » ou le développement du « temps partiel ». Bref, il faudrait le mettre au rencart comme on réforme un matériel périmé – c’est un sens secondaire du mot – pour lui substituer un système à points, à cotisations définies, adapté, lui, au « monde dans lequel nous vivons ». Ce faisant, le Premier ministre avoue son impuissance à « revenir au plein emploi » et à « limiter la précarité ».

Il existe pourtant une autre voie que la soumission au néolibéralisme conquérant. En témoignent les propositions que les syndicats, peinent à faire valoir auprès du gouvernement.

Elles rejoignent souvent celles d’économistes et de cercles de réflexion réellement progressistes ou des partis politiques de gauche, et dessinent l’ébauche de ce que pourrait être une réforme plus juste et plus protectrice.