Absence de l’acteur noir

Sylvie Chalaye publie un essai sur la faible présence des comédiens afrodescendants.

Gilles Costaz  • 12 février 2020 abonné·es
Absence de l’acteur noir
© Sotigui Kouyaté dans Tierno Bokar, mis en scène par Peter Brook.VOLKER HARTMANN/AFP

Alors que les portes se sont ouvertes, ou entrouvertes, pour les acteurs et actrices de la « diversité » au cinéma et dans le stand-up, il n’en est pas de même au théâtre. Peu d’afrodescendant·es jouent sur nos grandes scènes (trois quand même à la -Comédie-Française) et dans les petites équipes. D’où un essai de Sylvie Chalaye entre l’analyse et le combat, intitulé sans complexe Race et Théâtre. Un impensé politique, qui se propose comme « une réflexion sur le manque de diversité chromatique des distributions théâtrales en France et la place des acteurs et actrices perçus comme non blancs sur les scènes contemporaines ».

S’il est vrai que la situation s’arrange quelque peu, elle a pris tellement de retard par rapport aux exigences morales de l’histoire que nous restons à un stade de recul, de peur et de protection scandaleux. Ce que nous révèle Sylvie Chalaye, c’est qu’au cours des siècles passés l’ouverture a parfois été beaucoup plus grande. Des comédiens de couleur participaient aux spectacles de la Renaissance (dans des rôles pittoresques, mais avec des chances de montrer leur talent), Marivaux met en lumière « le Noir » dans sa comédie La Dispute et, plus récemment, des artistes dont les aïeux étaient africains et antillais jouaient dans les spectacles de Gaston Baty ou à la -Comédie-Française des années 1930.

Finalement, les Jean-Marie Serreau, Peter Brook, Antoine Vitez, Patrice Chéreau, Richard Demarcy, Pierre Debauche – qui ont semblé briser la règle du Noir cantonné à Othello et aux rôles d’éboueur –ont rétabli une circulation multi-ethnique dont le conservatisme avait arrêté le mouvement.

Pour Sylvie Chalaye, le poids des siècles d’esclavage et des attitudes de domination européenne et américaine a agi avec férocité. C’est évident dans le cas du « black face », parade venue des États-Unis pour laquelle le Blanc se maquille en Noir, se moquant sans s’en rendre compte du Noir qui, dans le jeu qu’on parodie, riait malicieusement du Blanc. Le « black face » reste une monstruosité dont l’utilisation, qu’elle soit peu ou très consciente, est toujours discutable.

Oublions les couleurs de peau, dit Sylvie Chalaye, qui déteste le réalisme et proclame : « L’incarnation scénique n’a pas de couleur, c’est une vibration », ajoutant : « Le personnage n’a ni peau, ni chair, c’est un être de papier, fait de mots, et c’est le comédien qui lui donne et convoque sa présence en faisant résonner sa voix, en interprétant la partition dramatique avec son instrument de jeu, ce corps humain… »

Le message lancé est nécessaire. Il développe ce que disait Brook il y a quarante ans mais doit être entendu davantage. Le Cid a été joué par William Nadylam chez Donnellan, –Macbeth par Adama Diop chez Braunschweig. N’en restons pas là.

Sylvie Chalaye, qui est aussi une grande connaisseuse de l’écriture des auteurs afrodescendants, ne manque pas de signaler combien ceux-ci, les Kwahulé, Efoui, Akakpo, sont peu joués, alors que leurs œuvres sont d’une rare puissance verbale. Quand commencera le XXIe siècle ?

Race et Théâtre.Un impensé politique, Sylvie Chalaye, Actes Sud Papiers, 160 pages, 16 euros.

Théâtre
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