« Thomas Sankara n’est pas mort », de Lucie Viver : À hauteur de champs et de rues

Thomas Sankara n’est pas mort, de Lucie Viver, est une traversée poétique et politique du Burkina Faso.

Christophe Kantcheff  • 6 mai 2020 abonné·es
« Thomas Sankara n’est pas mort », de Lucie Viver : À hauteur de champs et de rues
© Meteore

Le pays des hommes intègres » est la traduction littérale de « Burkina Faso », nom choisi par Thomas Sankara, associant deux langues de son pays, pour le substituer à « Haute Volta ». Nom splendide dû à la puissance politique de ces mots, à leur résonance poétique aussi. Le Burkina Faso était peut-être le seul endroit au monde où il était possible de mêler aussi intimement poésie et politique.

C’est ce qu’a fait Lucie Viver, dont c’est ici le premier long-métrage. Avec son micro et sa caméra, elle suit comme son ombre un jeune poète, Bikontine, pour arpenter le pays le long de l’unique ligne de chemin de fer existante. Pourquoi ce titre, Thomas Sankara n’est pas mort ? Parce que l’empreinte de ce chef d’État hors norme, anti-impérialiste et révolutionnaire, socialiste et féministe, tiers-mondiste et panafricaniste, assassiné en 1987 alors qu’il était à la tête du pays depuis quatre ans, se fait partout sentir. Surtout depuis les révoltes de 2014, qui ont obtenu la démission de Blaise Compaoré après vingt-sept ans de pouvoir.

Au cours des 600 kilomètres de son voyage, du sud-ouest jusqu’au nord-est, Bikontine a le don de la rencontre. Ce solitaire, régulièrement plongé dans son cahier pour écrire – comme le poète de Jarmusch dans –Paterson –, entame des conversations avec toutes sortes de personnes qu’il croise. Souvent, il prend part à l’activité de ses interlocuteurs : ici il inspecte un trou creusé par des chercheurs d’or, là il tient le sac dont des balayeuses se servent pour jeter les détritus. Chaque fois, il écoute, fait entrer les mots de l’autre en lui.

Petit à petit, le film dessine un portrait du pays à hauteur de champs et de rues. Parfois, la réalisatrice glisse quelques images d’archives de Sankara pour faire écho à la présence de celui-ci dans des propos, sur un tee-shirt, sur la couverture d’un livre. Quelque chose de l’immense espoir qu’il a soulevé semble encore vivre chez ces femmes et ces hommes, pauvres pour beaucoup. Un médecin explique pourquoi il est resté chez lui à exercer plutôt que de choisir la voie d’une grande carrière, un cantonnier infatigable creuse pour Orange et ses câbles, une institutrice transmet l’histoire de la décolonisation, douloureuse mais pleine de fierté.

Bikontine, comme Lucie Viver, tous deux à l’unisson, avance en prenant son temps. Ses poèmes scandent ses étapes. Au début du film, il disait son hésitation à s’exiler. Au bout de son périple, on ignore ce qu’il va faire. Quoi qu’il en soit, à travers Thomas Sankara n’est pas mort, il révèle son pays avec une grande sensibilité.

Thomas Sankara n’est pas mort, Lucie Viver, 1 h 49. Visible en e-cinéma sur www.la25eheure.com

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes