#Déboulonnable, Colbert ? : « Déclarons les esclaves être meubles »

Politis questionne des « grandes » figures de l’histoire liées à la colonisation. Aujourd’hui, le célèbre ministre de Louis XIV, qui fut est aussi l’instigateur du Code noir, en vigueur aux Antilles.

Nadia Sweeny  • 2 juillet 2020 abonné·es
#Déboulonnable, Colbert ? : « Déclarons les esclaves être meubles »
Colbert trône devant l’Assemblée nationale, à Paris.
© JOEL SAGET/AFP

Autour des gradins de l’Assemblée nationale trônent quatre « grands commis de l’État » incarnant les vertus de l’action politique… Aux côtés de Sully, L’Hospital et d’Aguesseau figure donc Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), l’organisateur de l’économie. Ce dernier, contrôleur général des finances (équivalent de ministre) de Louis XIV de 1665 à 1683, a organisé l’exploitation des grandes cultures d’outre-Atlantique, le tabac mais surtout le sucre, marché sur lequel la France aspire à l’hégémonie. Si l’esclavage est interdit sur le territoire métropolitain, le royaume organise pourtant la traite négrière vers les possessions d’outre-mer, où sont exportés les esclaves, notamment par le biais des compagnies commerciales créées par Colbert lui-même.

Les monuments, les noms donnés aux rues ne sont pas un livre d’histoire, ils sont des choix, et des honneurs publics délivrés en fonction d’enjeux politiques et du regard de la société d’une époque donnée. Non, les partisans du déboulonnage de certaines statues ne veulent pas « effacer » des noms de l’histoire du pays. C'est même l’inverse : en parler, mais en n’omettant rien de l’« œuvre » des honorés. Il est sain que le pays questionne son histoire, notamment coloniale, et les statues ne sont que la partie émergée de cet iceberg. Politis a choisi de retoucher le portrait de quelques « figures nationales ».
L’idéologie « colbertiste » est le pendant français du mercantilisme : un système économique dans lequel la richesse de l’État est fondée sur l’accumulation de réserves d’or et d’argent, le protectionnisme et l’interventionnisme dans le commerce et l’industrie. C’est dans cette logique lucrative que Colbert commande le Code noir, qui régente à partir de 1685 le statut, l’organisation, la vente des esclaves dans les territoires français des Antilles, de Louisiane et de l’océan Indien. L’article 1er de ce code commence par « chasser de nosdites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence », car ne devait subsister que la religion catholique. L’article 44 spécifie : « Déclarons les esclaves être meubles. » Et l’article 38 précise : « L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule ; s’il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule ; et, la troisième fois, il sera puni de mort. »

Plusieurs statues de Colbert existent en France. L’une devant l’École navale, à Lanvéoc (Finistère), est régulièrement honorée par les militaires pour commémorer son rôle dans l’organisation de la Marine. Outre une statue, Reims (Marne), sa ville natale, a donné son nom à son port, à un quartier, à des établissements scolaires (1)… Mais les symboles qui heurtent le plus sont bien sa statue à l’Assemblée nationale, érigée en 1808, ainsi que la salle qui porte son nom, et un bâtiment abritant l’hôtel des ministres au sein du ministère de l’Économie, à Bercy. Si, à chaque fois, l’hommage rendu vise l’œuvre économique de l’homme, jamais il n’est rappelé que ses conceptions sur les moyens d’enrichir le pays reposaient sur la traite négrière et l’exploitation esclavagiste des colonies. a

(1) À Thionville, cependant, la région Grand-Est a débaptisé le lycée Colbert pour le renommer Rosa-Parks, emblème de la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis.

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