Noblesse oblige

Les louanges étatiques sont adressées à des professions sacrifiées sur l’autel austéritaire.

Sébastien Fontenelle  • 21 octobre 2020
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Noblesse oblige
Hommage à Samuel Paty au palais Bourbon, le 20 octobre.
© Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Après l’abominable assassinat par un fanatique, le vendredi 16 octobre, d’un professeur d’histoire-géographie de Conflans-Sainte-Honorine, Emmanuel Macron et ses acolytes du gouvernement ont déclaré, à l’unisson, que la victime de cette atrocité innommable « incarnait », selon les mots de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, « la République dans ce qu’elle a de plus noble : son école » – entendue ici comme l’ensemble des institutions qui, de la maternelle à l’université, ouvrent un accès au savoir et à son apprentissage.

Quelques mois plus tôt, les mêmes, exactement, avaient formulé, dans le contexte (certes moins absolument glaçant que celui de sidération hébétée où nous a tou·tes plongé·es le meurtre de Conflans, mais tout de même très extraordinaire et très saisissant) de l’irruption dans nos vies d’une épidémie exceptionnellement mortelle, et dans un moment qui portait donc lui aussi une effrayante étrangeté, d’autres hommages non moins vibrants.

C’était en l’honneur, cette fois-là, des personnels des hôpitaux, recrus d’épuisement mais qui, cependant, restaient fermes dans une tourmente sanitaire aggravée, il faut le rappeler, par l’incurie des mêmes dirigeant·es qui soudain les acclamaient. (Il ne faudra jamais oublier que le chef de l’État français nous recommandait chaudement, quelques jours avant le confinement de mars 2020, de ne surtout pas « modifier nos habitudes de sortie ».)

Et on peut bien sûr (et on doit sans doute) postuler qu’il y avait de la sincérité dans les émotions qui ont commandé ces louanges étatiques.

Mais on peut (et on doit) considérer aussi – considérer surtout – qu’elles sont adressées à des professions qui depuis de longues décennies – ponctuées notamment par des moments de « socialisme » où cet abandon n’a pas été le moins du monde ralenti – ont été sacrifiées sur l’autel du capitalisme austéritaire par celles et ceux-là mêmes qui les encensent désormais.

Puisque, en effet, les enseignant·es et les soignant·es sont précisément les populations laborieuses (parmi tant d’autres dont l’apport à notre bien-vivre n’est certainement pas moindre) qui depuis toutes ces années demandent et supplient qu’on écoute leurs alarmes et entende leurs SOS, lorsqu’elles crient, sur tous les tons, le péril effroyable dans lequel nous précipitent collectivement les constantes restrictions – budgétaires, notamment – que leur infligent des régimes acharnés à leur dévalorisation.

Le macronisme est l’un de ces pouvoirs. Assurément le plus brutal, et ce n’est pas peu dire. De sorte que, s’il ne débloque pas désormais pour l’Éducation nationale et la santé publique les mêmes gigantesques moyens qu’il a trouvés pour ses riches clientèles depuis trois ans et demi, ses exercices et proclamations d’admiration devront être tenu·es pour autant de preuves d’une incommensurable fourberie.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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