Des images plein les oreilles

La 7e édition de « Fame », festival de films sur la musique organisé par la Gaîté lyrique, propose en ligne une sélection variée et stimulante.

Jérôme Provençal  • 17 février 2021 abonné·es
Des images plein les oreilles
Dans la sélection, émerge notamment In a silent way, de Gwenaël Breës, remarquable documentaire subjectif sur les traces de Talk Talk.
© derives-savage film

Jadis antre de l’art lyrique, comme son nom l’indique encore, la Gaîté lyrique – qui a rouvert ses portes en 2011 – s’est muée en un fief de la création contemporaine avec un focus sur les arts numériques et les musiques actuelles. Festival international de films sur la musique, « Fame » (dont le nom fait référence au film musical éponyme d’Alan Parker, sorti en 1980) constitue l’un des événements phares de cette Gaîté lyrique nouvelle génération.

Habituellement, l’événement se tient au sein du vaste bâtiment situé au cœur de Paris, tout près du musée des Arts et Métiers, mais la pandémie de Covid-19 l’interdit cette année. Par conséquent, s’inscrivant ainsi dans le cadre de « Plein Écran », l’offre de programmation en ligne de la Gaîté lyrique, la 7e édition de « Fame » se déroule intégralement en VOD, du 18 au 25 février, en partenariat avec la plateforme de streaming MK2 Curiosity. Chaque film peut être loué pendant 48 heures, à des tarifs variables.

Comme les précédentes, la sélection 2021 a été concoctée en binôme par Olivier Forest et Benoît Hické, tous deux programmateurs aguerris. Elle regroupe une quinzaine de longs métrages inédits en France, pour la plupart des documentaires, présentés en ou hors compétition. Stimulant les yeux autant que les oreilles, l’ensemble couvre un large spectre au niveau des formes cinématographiques employées comme des styles -musicaux abordés (dans la sphère des musiques actuelles).

Parmi les films en compétition se détache en particulier In a silent way de Gwenaël Breës. Fan de Talk Talk, le réalisateur se lance ici sur les traces du groupe anglais et, plus particulièrement, de son insaisissable chanteur Mark Hollis (mort en 2019), le film – entreprise de longue haleine – ayant été tourné entre 2016 et 2019.

Apparu durant les années 1980, en plein cœur de la rutilante vague de pop synthétique, et propulsé au sommet des hit-parades avec le tube planétaire « Such a Shame », Talk Talk, plutôt que de surfer sur ladite vague, va prendre le (grand) large et tendre vers une musique éminemment singulière et captivante, nettement plus proche du jazz que de la pop, dans laquelle le silence joue un rôle primordial.

Traversés par la brise de l’aventure et tendus vers l’épure, les deux superbes derniers albums du groupe – Spirit of Eden (1988) et Laughing Stock (1991) – font l’objet d’un culte fervent depuis leur sortie, échangés entre initiés comme de précieux secrets. Parti vivre dans un village de la campagne anglaise, loin de Londres, Mark Hollis n’est réapparu qu’en 1998 avec un album solo (Mark Hollis) dépouillé à l’extrême.

Se heurtant au refus du chanteur de figurer dans le film, subissant d’autres fins de non-recevoir (notamment du producteur Tim Friese-Greene), se voyant par ailleurs interdire d’utiliser la musique de Talk Talk, Gwenaël Breës ne va pourtant pas se décourager. Malgré (ou avec) les divers obstacles rencontrés tout du long, il va élaborer petit à petit un (autre) film, s’inventant un chemin de cinéma différent, plus sinueux, au bord du silence.

En cours de route, il va croiser plusieurs proches collaborateurs de Mark Hollis, interroger des gens dans la rue, revenir sur des lieux clés, se détacher au fur et à mesure du passé pour mieux observer le présent. Intégrant également quelques précieuses images d’archives télévisées (dont un extrait d’interview avec Mark Hollis, très touchant) et ajoutant par intermittence un beau commentaire en voix off, il compose un film très juste, empreint de mélancolie mais non dénué d’humour, qui laisse autant d’espace à l’imaginaire que la musique de Talk Talk.

Avec Sisters with Transistors, également en compétition, Lisa Rovner évoque plusieurs grandes pionnières de la musique électronique, de Maryanne Amacher à Laurie Spiegel en passant par Bebe Barron, Wendy Carlos, Suzanne Ciani, Pauline Oliveros, Daphne Oram ou encore – last but not least – Eliane Radigue, dont l’œuvre fascinante se déploie depuis plus de cinquante ans. Riche de nombreuses et souvent belles images d’archives, le film relate avec éclat les parcours de ces expérimentatrices majeures, trop longtemps restées dans l’ombre.

Encore en compétition, Jérôme Florenville se focalise sur la scène noise et expérimentale dans À qui veut bien l’entendre, documentaire alternant performances plus ou moins bruitistes et échanges de paroles autour d’une table ronde entre plusieurs protagonistes de cette scène. S’il pâtit d’un dispositif trop mécanique et statique (difficile de faire plus rébarbatif qu’une table ronde au cinéma…), le film suscite néanmoins un vrai intérêt, grâce avant tout aux performances, souvent intenses. Mention spéciale à celle d’Alessandra Zerbinati : entre le body art extrême et la musique noise, une très puissante expérience cathartique, littéralement à fleur de peau, faisant presque passer les actionnistes viennois pour d’inoffensifs garnements.

Enfin, toujours en compétition, signalons Dark City – Beneath the Beat de Tedra Wilson (alias TT The Artist), qui met en exergue l’effervescente culture club de -Baltimore (États-Unis). Portée par la communauté noire de la ville, dans les clubs mais aussi dans les rues, cette culture – dont la réalisatrice est partie prenante – se caractérise par une musique survoltée (entre ghetto-house et hip-hop) et une danse à l’avenant. Soutenu par un montage trépidant jusqu’à l’excès, le film déborde d’énergie positive (et inventive) à chaque plan ou presque et, en dépit d’une photo un peu trop léchée, emporte allégrement l’adhésion.

Fame, du 18 au 25 février, via la plateforme MK2 Curiosity, gaitelyrique.net

Musique
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