Covid à l’école : « Ce protocole n’est pas assez protecteur »

Les personnels de l’Éducation nationale pointent unanimement les insuffisances des mesures en place, tant pour se prémunir de la pandémie que pour affronter ses effets psychologiques.

Oriane Mollaret  • 31 mars 2021 abonné·es
Covid à l’école : « Ce protocole n’est pas assez protecteur »
Un test salivaire dans une école de l’Est de la France.
© SEBASTIEN BOZON / AFP

L’épidémie de coronavirus est repartie à la hausse, et ce qui semble être une -troisième vague déferle sur la France. Particulièrement touchés, 19 départements ont déjà été reconfinés. Dans les établissements scolaires de ces zones, les chiffres s’emballent. D’après le ministère de -l’Éducation nationale, à la date du 26 mars, il y avait 148 établissements fermés ainsi que 3 256 classes. Sur les sept derniers jours, plus de 21 000 élèves et 2 500 enseignant·es avaient été testé·es avec un résultat positif au Covid-19 en France. Depuis début mars, ces chiffres doublent chaque semaine. Pourtant, l’hypothèse d’une fermeture temporaire des écoles a été écartée lors de l’annonce du reconfinement. Armé·es d’un masque en tissu, de fenêtres ouvertes, de gel hydroalcoolique et surtout de bonne volonté, les profs continuent à faire cours avec les moyens du bord, dans la crainte d’être à leur tour contaminé·es.

Verbatim

**Patricia***

52 ans, enseignante dans une école primaire d’Étampes

« En ce moment, il y a trois élèves positifs au Covid dans mon école. Il doit y en avoir plus en réalité, mais on n’a aucun moyen de le savoir. Je travaille dans une école REP, où il y a beaucoup d’absentéisme. Quand les élèves reviennent, ils nous disent qu’ils étaient malades. On ne sait pas si c’est le Covid ou non, car ils ne sont pas testés. Les locaux de l’école sont anciens et pas du tout adaptés au protocole sanitaire. Il y a douze robinets pour 310 enfants… Le masque complique l’apprentissage de la lecture et la phonologie, qui sont très importantes parce qu’on a des familles issues de communautés maghrébines, turques et d’Afrique noire qui ne parlent pas français. On a demandé des masques transparents, au moins pour les CP, mais on n’a rien eu. À la cantine, les services sont décalés, ce qui bouleverse les rythmes biologiques. Mes élèves ont une après-midi très longue et n’arrivent pas à se concentrer. Ce n’est pas gérable. Mais, si mon école ferme, les enfants seront en rupture totale. On a six mois de retard à rattraper depuis l’année dernière. Il faudrait laisser les écoles ouvertes mais s’assurer que les enfants fassent un test Covid avant de revenir en cours. »

**Léa***

33 ans, professeure dans un lycée de la banlieue lyonnaise

« On ne sait pas combien il y a de cas dans notre lycée. Les collègues comme les élèves ne disent pas spontanément qu’ils avaient le Covid. Je suis jeune et sans comorbidité, je n’ai pas peur de mourir mais d’avoir un Covid long et les séquelles associées. Le lycée est en demi-jauge depuis novembre, ça fonctionne, mais ça ne sert à rien si ce n’est pas appliqué dans les collèges, car beaucoup d’élèves ont des frères et sœurs plus jeunes. L’Éducation nationale distribue uniquement des masques en tissu aux enseignant·es, donc j’achète mes propres masques chirurgicaux jetables, plus efficaces et confortables. Aucun masque n’est fourni aux élèves. Certains portent donc le même toute la semaine. C’est renvoyer la responsabilité sur les élèves et leurs familles, alors qu’elle est étatique ! L’État est capable de prendre des mesures fortes comme le couvre-feu ou la restriction des libertés individuelles, mais pas quand il faut fournir ce qui marche vraiment…

Dans le Rhône, il faudrait fermer les collèges et les lycées dès maintenant. Les vacances scolaires commencent dans deux semaines, ça permettrait de casser les chaînes de contamination. Ce protocole n’est pas assez protecteur ­– ni pour les enseignant·es ni pour les élèves et leurs familles – pour qu’on puisse rester ouverts. On a déjà eu le décès d’un parent d’élève. Mercredi, une surveillante est venue chercher une de mes élèves pour qu’elle aille dire au revoir à son père, qui entrait en réanimation. Nous ne sommes pas formé·es à la gestion de ces situations. »

**Julien***

25 ans, assistant d’éducation dans un collège du XIe arrondissement de Paris

« En vie scolaire, c’est nous que les parents d’élèves appellent pour prévenir que leurs enfants sont positifs au Covid. Ces deux dernières semaines, on a eu beaucoup plus d’appels qu’avant. Nous sommes en sous-effectif : cinq à huit assistants d’éducation pour environ 600 élèves. En temps normal, ça peut passer, mais pas avec le protocole. Je passe mon temps à faire le flic sur le port du masque et les gestes barrières. Au début de l’année, ça allait, mais c’est de plus en plus difficile pour les gamins : ils en ont ras le bol. Mon collège était relativement préservé depuis septembre, mais, depuis février, on ne se sent plus assez protégé·es. Ce qui m’inquiète le plus, c’est que rien n’a été fait depuis le premier confinement. L’Éducation nationale, qui est un pilier important de la société, a été délaissée. Je n’étais pas favorable à la fermeture des établissements scolaires avant cette troisième vague, mais là, il n’y a plus trop le choix. Les demi-mesures du gouvernement ne fonctionnent pas. Nous avons de plus en plus d’élèves en grande détresse psychologique, comme lors du premier confinement. Leurs parents vont mal ou ont perdu leur emploi, ça ne se passe pas bien à la maison. Certains n’ont pas envie de quitter le collège le soir. On a besoin d’assistantes sociales et de psychologues scolaires. »

**Fabien***

28 ans, professeur dans un collège de Marseille

« Dans mon collège, nous en sommes actuellement à une dizaine de cas de personnes contaminées et à une vingtaine de cas contacts, la plupart parmi les élèves. Le chiffre est largement sous-estimé car il n’y a aucun test. Il n’est pas rare qu’un élève arrive avec de la fièvre ou en toussant sans qu’il soit renvoyé chez lui, car personne ne peut venir le chercher. Les tests salivaires sont prévus, mais tardent à être mis en place. Nous ne disposons pas des autorisations de tous les parents, loin de là.

Le protocole sanitaire actuel n’est pas du tout efficace, il consiste simplement à ouvrir les fenêtres et à veiller à ce que les élèves portent le masque. Dans les couloirs, quel que soit le sens, les élèves se croisent massivement. Je ne me sentais pas du tout protégé en allant au travail, et j’avais raison car j’ai fini par y être contaminé. La fermeture des établissements doit rester un dernier recours, et je regrette que nous en soyons là. Cette solution semble s’imposer, alors que nous aurions pu l’éviter avec un protocole plus solide, en instaurant des demi-effectifs dans les collèges et les écoles, comme cela a été fait dans les lycées, en investissant dans des purificateurs d’air comme en Allemagne, et en recrutant du personnel supplémentaire chargé de veiller au respect des gestes barrières. Rien de cela n’a été fait. »

  • Les prénoms ont été modifiés.