Quels « mirages » de la décroissance ?

Un article du Diplo reprend tous les poncifs des avocats de la croissance à perpétuité.

Jean Gadrey  • 17 mars 2021
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Quels « mirages » de la décroissance ?
© Dominique Halleux / Biosphoto / Biosphoto via AFP

Mirages de la décroissance » : tel est le titre – sans point d’interrogation – d’un article publié par Le Monde diplomatique en février 2021. Il est signé de Leigh Phillips, journaliste à EUobserver, auteur en 2015 d’un livre (1) sous-titré « Une défense de la croissance ».

Le Diplo a dans le passé publié nombre d’articles d’objecteurs de croissance, dont Serge Latouche et moi-même. Bien avant cela, André Gorz y avait contribué. Certes, l’idée d’engager une controverse n’est pas critiquable. Plus contestable est l’argumentation de Leigh Phillips, qui reprend les vieux poncifs et les caricatures des avocats de la croissance à perpétuité.

L’article commence par l’exemple favori de ces derniers : l’humanité est parvenue à réduire le « trou dans la couche d’ozone » grâce au protocole de Montréal de 1987. Les émissions de chlorofluorocarbures, principales responsables du dommage, ont été fortement réduites. Parmi les grands facteurs de succès : des innovations technologiques dans des produits de substitution. L’auteur en déduit, par un raccourci saisissant, que, « lorsque nous nous heurtons à des limites naturelles, nous sommes capables d’innover pour les dépasser ». Pourtant, le cas de l’ozone ne concerne qu’une branche industrielle circonscrite, ne remet pas en cause l’ensemble des modes de vie et de production, et n’est en rien transposable au changement climatique ou à l’effondrement de la biodiversité. On est là typiquement dans une croyance, un « mirage » scientiste.

Autre grand poncif : l’arrêt de la croissance mondiale signifierait, si les revenus étaient partagés de façon égalitaire, un appauvrissement d’une grande partie de la population mondiale, à un niveau de revenu de 4 700 euros par an, en gros le RSA. La croissance serait donc indispensable pour combattre la pauvreté.

D’une part, ce calcul n’est pas sérieux : si l’on raisonne en parités de pouvoir d’achat (PPA), ce qui est ici nécessaire, le revenu national brut par habitant dans le monde était proche de 18 000 dollars en 2019, soit environ 13 500 euros annuels en PPA, trois fois le chiffre misérabiliste de Phillips. D’autre part, et surtout, ce raisonnement en parts d’un gâteau PIB mondial évite de questionner ses ingrédients alors qu’il devient de plus en plus toxique en grossissant, au point de menacer la vie sous toutes ses formes. Il ignore que les objecteurs de croissance ne préconisent pas de remplacer le « toujours plus de quantités produites et consommées » par le « toujours moins ». Il s’agit avant tout de produire et consommer mieux, autrement et plus équitablement, dans le respect de limites naturelles connues, de viser les gains de qualité (sociale, de vie, des produits, environnementale) avant l’augmentation des quantités. Ce ne sont pas de simples slogans : des exemples probants existent déjà (2). Mais pour s’en convaincre, ou pour critiquer ce point de vue, on a besoin d’en débattre sur le fond, sans caricature. L’article de Leigh Phillips ne nous y aide pas.

(1) Austerity Ecology and the Collapse-Porn Addicts,John Hunt Publishing.

(2) Voir mon livre Adieu à la croissance, Les Petits matins, 2015 [1re éd. 2010].

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Temps de lecture : 3 minutes
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