Au Festival d’automne, des corps instables

En mode printanier, pandémie oblige, le Festival d’automne présente L’Art de conserver la santé et Vacances vacance, deux pièces drôlement mouvantes de la chorégraphe Ondine Cloez.

Jérôme Provençal  • 26 mai 2021 abonné·es
Au Festival d’automne, des corps instables
Vacances vacance évoque avec de discrets jeux de lumière les états de conscience altérée.
© Florent Garnier

Sous l’effet de la pandémie de Covid-19, l’édition 2020 du Festival d’automne a été largement amputée, seule une partie de la programmation ayant pu être maintenue en septembre-octobre. C’est la raison pour laquelle la manifestation réapparaît de manière exceptionnelle en ce mois de mai 2021 – et jusqu’à fin juillet – à la suite de la réouverture des lieux culturels en France.

Cette collection printemps-été du Festival d’automne amène notamment à découvrir l’univers de la danseuse et chorégraphe française Ondine Cloez. Après avoir longuement pratiqué la danse classique, celle-ci s’est orientée vers la danse contemporaine à la fin des années 1990. Ayant étudié durant trois ans à la prestigieuse école P.A.R.T.S de Bruxelles (fondée par la grande chorégraphe flamande Anne Teresa de Keersmaeker), elle a ensuite pris part à la formation « exerce », tout aussi prestigieuse, dispensée par le Centre chorégraphique national de Montpellier.

Travaillant comme interprète avec de nombreux chorégraphes, Loïc Touzé en particulier, Ondine Cloez développe en outre son propre travail chorégraphique depuis quelques années. Elle compte actuellement deux pièces à son actif : Vacances vacance (2018) et L’Art de conserver la santé (2020). Les deux figurent à l’affiche du Festival d’automne et sont présentées aux Laboratoires d’Aubervilliers, structure majeure de la création contemporaine, ouverte – comme son nom le suggère – aux formes les plus expérimentales.

Dans Vacances vacance, seule sur scène, dans un dispositif épuré à l’extrême (ni décor ni accessoires, juste de discrets jeux de lumière), Ondine Cloez orchestre et incarne un étrange soliloque chorégraphié autour de l’idée de vacance(s). Alliant gestes et paroles, avec parfois de subtils décalages entre les deux, elle évoque ces états de conscience altérée où l’on peut avoir le sentiment de quitter son corps – via l’hypnose, la méditation, les expériences proches de la mort ou encore la prise de peyotl. Elle aborde aussi la grâce, forme suprême de quelque chose qui nous dépasse. Tout du long, un air espiègle souvent au bord des lèvres, elle flotte entre présence et absence avec autant de légèreté que de singularité.

Pièce non moins atypique, L’Art de conserver la santé prend sa source dans le Regimen sanitatis Salernitanum, un manuel d’hygiène du XIIe ou XIIIe siècle. Émanant de l’école de médecine de Salerne (Italie), la première école de médecine fondée en Europe au Moyen Âge, cet ouvrage – qui en a inspiré de nombreux autres – traite du rhume, du sommeil, du vomissement, de l’été ou encore de la passion amoureuse sous la forme d’alexandrins en latin.

« J’ai découvert l’existence du Regimen Sanitatis Salernitarium en lisant un livre sur les plantes médicinales, car je voulais en planter dans mon jardin, raconte Ondine Cloez. Les textes de ce traité m’ont beaucoup plu. D’abord, j’ai pensé les utiliser pour en faire simplement des chansons, sans véritable projet artistique. Plus je les lisais, plus je me les appropriais et plus je me penchais sur le contexte dans lequel ils ont été écrits. J’ai commencé à m’intéresser à la médecine, au XIIIe siècle, au Moyen Âge… Petit à petit, j’ai eu envie de construire quelque chose avec tous ces éléments et d’approcher les corps d’hier à partir des corps d’aujourd’hui. »

Comment restituer – et non pas reconstituer – les façons de parler, de chanter et de bouger du Moyen Âge ? Tel est l’un des principaux défis auxquels se confronte ici la chorégraphe, en synergie avec deux amies danseuses, Clémence Galliard et Anne Lenglet. «Je tiens vraiment à faire porter ces textes sur scène par des femmes, car l’histoire est le plus souvent racontée par des hommes, souligne Ondine Cloez. Il est important que le public puisse se projeter par le biais de ces interprètes féminines. »

Ensemble, chantant les poèmes a cappella (dans une traduction française du XVIIIe siècle), parlant pour distiller des informations contextuelles ou dansant, les trois partenaires de jeu donnent corps et voix à un récital/spectacle fugueur, irrigué par une riche documentation et mû par un désir de glissement progressif vers la fiction. Creusant l’écart – qui peut vite devenir vertigineux – entre ce que l’on entend, ce que l’on voit et ce que l’on se représente, l’expérience est particulièrement stimulante pour l’imaginaire.

L’Art de conserver la santé se double d’une variation en extérieur, intitulée La Ballade des simples, qui prend la forme d’une visite guidée (en)chantée et décalée, proposée dans des jardins ou dans des parcs, chacune des trois interprètes accompagnant un groupe de dix personnes maximum.

Initié dès 2019, ce projet très insolite gagne forcément en résonance avec la pandémie de covid-19, dans un monde où la question de la santé – individuelle et collective – se pose de manière impérieuse. « La conception actuelle de la santé est différente de celle du XIIIe siècle, développe Ondine Cloez. De nos jours, on a tendance à penser qu’on peut se maintenir en bonne santé, atteindre une forme d’équilibre en prenant soin de son corps, par exemple en pratiquant un sport et/ou en faisant attention à son alimentation. Au contraire, selon le Regimen sanitatis Salernitanum_, la santé est un état toujours instable, car le corps se trouve en relation constante avec le monde qui l’entoure. Même si nous n’en prenons pas conscience, le monde autour de nous exerce une influence sur nous. Avec le réchauffement climatique, nous semblons enfin réaliser que les éléments, le monde et le cosmos nous traversent et nous modifient. »_

L’Art de conserver la santé, 27 au 30 mai

Vacances vacance, 15 au 19 juin, Laboratoires d’Aubervilliers, festival-automne.com

Spectacle vivant
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