Tarcila Rivera Zea : « Les nominations de femmes autochtones sont de vrais progrès »

L’émergence de femmes autochtones à des postes élevés résulte de décennies de luttes, analyse Tarcila Rivera Zea.

Patrick Piro  • 14 juillet 2021 abonné·es
Tarcila Rivera Zea : « Les nominations de femmes autochtones sont de vrais progrès »
© Jean-Marc Ferré

C’est l’une des personnalités indigènes les plus reconnues du Pérou et dans le monde. Tarcila Rivera Zea œuvre depuis plus de trente-cinq ans pour la défense des droits des peuples autochtones, en particulier auprès des femmes et des jeunes, dans plusieurs instances internationales notamment. Elle siège actuellement à la commission internationale « Les futurs de l’éducation » de l’Unesco, ainsi qu’au comité d’éthique du tribunal électoral, au Pérou, où elle dirige Chirapaq, un centre pour les cultures autochtones qu’elle a fondé.

Elisa Loncón au Chili et Mary Simon au Canada, après Deb Haaland aux États-Unis… Que vous inspire la promotion de ces personnalités autochtones dans leurs pays respectifs ?

Tarcila Rivera Zea : C’est très important pour nos peuples, et pour les femmes en particulier. Nous nous sentons représentées par elles, qui ont consacré leur vie à leur peuple et à leur culture. Dans une société chilienne réputée anti-autochtone, c’est un grand succès de voir l’une d’elles élue présidente de l’Assemblée constituante, alors que les communautés indigènes comptent pour à peine 12 % de la population. De même pour Mary Simon, qui a mis toute sa vie ses compétences au service de son peuple, les Inuits, et d’autres peuples autochtones : sa nomination frappe dans un Canada choqué par la découverte de centaines de tombes d’enfants morts dans des internats catholiques, ce qui pousse l’État à compenser ces actes inacceptables.

Quant à la nomination de Deb Haaland à ce poste si important de ministre de Joe Biden… Elle a toujours défendu les peuples indigènes, notamment leurs droits territoriaux. Elle est totalement engagée auprès d’eux sur les questions environnementales.

Mais ces émergences restent isolées…

Et même symboliques. Cependant, il ne s’agit pas d’aumône et il faut reconnaître ces promotions comme de vrais progrès, car nos peuples se sont battus sur de multiples fronts au cours des cinquante dernières années. Tant au Chili ou au Canada qu’aux États-Unis, ce sont d’abord nos peuples qui ont pris soin des ressources naturelles. Les États ont une dette historique dans la reconnaissance de leur contribution.

Le regard du public change-t-il sur ces -communautés ?

L’implication de nos peuples dans les mobilisations sociales de ces dernières années leur a donné une forte visibilité. C’est le cas des Mapuches, qui se distinguent par leur force et la présence de femmes au premier plan au Chili, où je crois désormais que l’opinion publique est plus favorable à leurs luttes. Au Canada, la culpabilité envers les peuples autochtones joue fortement. Le Premier ministre, Justin -Trudeau, a manifesté une ouverture importante, en poussant à écouter les dirigeants indigènes de différentes générations.

Et avec Deb Haaland, particulièrement attentive aux problèmes des communautés autochtones du Sud, nous avons la certitude de disposer d’une alliée stratégique dans le Nord. Nous espérons que le prestige, la reconnaissance et le pouvoir qu’elle a acquis permettront à nos dirigeants traditionnels de sortir d’une vision figée dans l’époque coloniale, et que cela incitera nos concitoyens à lutter contre le racisme et les préjudices que subissent nos peuples en tant que sujets politiques.

Quelles avancées concrètes peut-on attendre de ces femmes ?

Deb Haaland dispose d’une expérience politique qui lui confère beaucoup d’assurance dans ses décisions. Elle est respectée pour son engagement dans la lutte pour le climat et les droits des femmes et des enfants. Elle a lancé des enquêtes sur les internats où des enfants autochtones étaient placés de force pour les assimiler à la culture dominante, comme au Canada. Sa propre grand-mère en a été victime. Deb a également décidé d’enquêter sur les disparitions de femmes autochtones, ce qui est sans précédent.

Plus globalement, accompagnant les mouvements indigènes depuis des décennies, je peux affirmer que les femmes, par leur dévouement et leurs convictions, n’ont jamais baissé les bras dans la lutte pour les droits de nos peuples. Nombre d’entre elles ont donné leur vie pour la défense du territoire, les ressources naturelles et les savoirs autochtones. Leur engagement est fondamental. Au cours des trente dernières années, nous nous sommes organisées et renforcées dans les Amériques, autour d’un agenda d’actions où la complémentarité des droits collectifs et individuels est notre force motrice.

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