« Visage » de Tsai Ming-liang ; bilan et pronostics

Christophe Kantcheff  • 23 mai 2009
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La compétition se clôt avec Visage , que Tsai Ming-liang a tourné à Paris. Visage est le fruit d’une commande que le musée du Louvre a faite au cinéaste thaïlandais dans le cadre d’une collection de films intitulée « Le Louvre s’offre aux cinéastes » . Sans être directement patrimonial, le film rend hommage à l’un des grands événements de l’histoire du cinéma français, devenu mythique : la Nouvelle Vague. Plus précisément à François Truffaut, dont certains de ses acteurs fétiches occupent les premiers rôles : Jean-Pierre Léaud et Fanny Ardant. Ceux-ci, ou plus exactement ses personnages, sont engagés dans une entreprise compliquée, un film réalisé par un certain Kang (interprété par l’acteur fétiche lui aussi de Tsai Ming-liang, Kang Sheng-lee) perturbé par la mort de sa mère survenant au cours du tournage (le cinéaste empruntant là à ce qu’il a lui-même vécu).

Illustration - « Visage » de Tsai Ming-liang ; bilan et pronostics

Film (impossible) dans le film, cette classique figure de style n’empêche pas Tsai Ming-liang de redonner libre cours à ses obsessions : l’eau, la comédie musicale (avec Laetitia Casta), l’utilisation originale d’aliments… Souvent très beau, avec de nombreuses pointes d’insolite, fixant parfois trop longtemps son spectateur dans la contemplation, Visage est un film mélancolique, dominé par la perte et la difficulté du deuil.

La soixante-deuxième édition du festival de Cannes s’achève. J’en garderai un bon souvenir. Une compétition globalement de bonne tenue, des films qui laissent une forte impression à l’Acid ( La Vie intermédiaire de François Zabaleta, Perpetuum mobile de Nicolas Pereda, Sombras d’Oriol Canals), et, dans les deux sélections que j’ai le moins fréquentées, Un Certain regard et la Quinzaine des réalisateurs, j’ai tout de même pu voir quelques réussites ( Irène d’Alain Cavalier pour la première, Tetro de Francis Ford Coppola, Yuki et Nina de Nobuhiro Suwa et Hyppolite Girardot, la Terre de la folie de Luc Moullet pour la seconde).

Pas de véritable choc dans la compétition (sauf, peut-être, le film de Jacques Audiard), mais les participants étant pour la plupart des habitués, il aurait fallu que les cinéastes de ce club (trop) fermé se renouvellent radicalement pour dérouter, créer une véritable surprise. En revanche, parmi les quatre cinéastes qui ont signé les films qui m’ont paru les plus riches, les plus aboutis, Quentin Tarantino a tout de même opéré un écart par rapport à sa manière ( Inglourious Basterds ), Marco Bellocchio a élaboré un film d’une grande singularité esthétique avec ses thématiques habituelles ( Vincere ), Elia Suleiman a épuré encore davantage son style ( The Time That Remains ) et Jacques Audiard a décuplé la puissance de ses talents de scénariste et de metteur en scène ( Un Prophète ).

C’est bien sûr à l’un de ces quatre-là que je décernerais la palme. Ont-ils des chances ? Jacques Audiard part avec un sérieux handicap : la palme déjà décernée l’an dernier à un film français. Quentin Tarantino l’a déjà obtenue. Mais on sait que ce n’est pas un obstacle. Son film est le plus spectaculaire des quatre, ça peut compter. La palme à Marco Bellocchio viendrait saluer l’ensemble d’une œuvre importante. Enfin, primer Elia Suleiman constituerait aussi un signe politique acceptable par tous.

Il se chuchote par ailleurs que *le Ruban blanc* , de Michael Haneke, ferait une palme d’une grande honorabilité. Isabelle Huppert aurait peut-être aussi un petit faible pour celui qui lui a donné le rôle de la Pianiste , qui lui valut son deuxième prix d’interprétation à Cannes.

Parmi mes favoris des prix d’interprétation (surtout si les cinéastes en question n’obtiennent pas la palme) : Tahar Rahim chez Audiard. Giovanna Mezzogiorno chez Bellocchio.
Le Grand prix pourrait aller à Alain Resnais pour les Herbes folles , et je trouverais assez judicieux d’attribuer le prix de la mise en scène à Vengeance , de Johnnie To. Voilà pour des récompenses souhaitables ou probables.

Il serait difficile de dégager des thématiques communes qui traversaient des œuvres d’horizons différents. Cela dit, à l’instar de Visage évoqué plus haut, plusieurs films ont montré le cinéma en train de se faire (ou de se défaire), ou d’être projeté devant un public : Étreintes brisées d’Almodovar, Vincere de Bellocchio, Inglourious Basterds de Tarantino, les Herbes folles de Resnais, Irène de Cavalier… Ce n’est pas la marque d’un égocentrisme ou d’un jeu autoréférencé pour initiés. Mais une attitude réflexive qui interroge la place du cinéma dans l’existence de personnages ou d’auteurs. Les cinéastes sont certainement les mieux placés pour le faire.

Outre le cinéma, la critique a aussi grand besoin de réflexion sur elle-même. Un site né à l’occasion du festival, portant l’heureux nom d’« Independencia » (en hommage à un film de Raya Martin concourant cette année dans la sélection Un Certain regard, qui portait ce titre), a accompli à Cannes un travail de qualité et prometteur. Il serait souhaitable, sinon nécessaire, qu’il trouve maintenant sa forme et sa viabilité sur la durée.

Quant à moi, je tiens à remercier les internautes qui, dans les commentaires de ce blog, m’ont adressé des encouragements lors de ces douze jours d’écriture. Quand on écrit, parfois péniblement parce qu’il est 1 heure et demie du matin, en essayant de dégager, l’esprit brumeux, une ou deux idées à propos des films vus dans la journée, ces encouragements-là sont précieux.

À demain, pour le commentaire du palmarès.

Temps de lecture : 5 minutes
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