La RATP a l’imaginaire… sécuritaire

Christine Tréguier  • 29 mai 2013
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Un appel d’offres pour le moins ahurissant a été débusqué par un petit malin sur le site du Pacte PME, portail d’offres pour boîtes innovantes. Un appel d’offres balancé dans la foulée sous forme d’une brève sur le blog Sete’ici, et qui a fait le tour du Net et des rédactions en moins de 24 heures. Le projet visé émane de la RATP… enfin oui… mais non, c’est pas eux… enfin, disons que c’est… abandonné. Je vous explique ça plus loin. Le projet, donc, tient en une phrase : « Expérimenter l’identification faciale sur une ligne de péage avec des personnes en mouvement. » 

Pour les allergiques à la surveillance, ça incite tout de suite à lire le cahier des charges. Lequel explique benoîtement qu’il s’agit de « l’étude d’un nouveau concept de péage de transport public, sans barrière anti-fraude, capable d’une détection automatique du voyageur, en entrée et en sortie, sans ou avec présentation d’un objet communiquant ». Le Saint Graal du transporteur ! Mais encore ? Et bien tout simplement en développant « un système de péage à base de reconnaissance faciale permettant d’identifier le voyageur à l’entrée et à la sortie du réseau ».

Ça y est, le transport dématérialisé dont on rêvait, la RATP l’a fait ! L’imaginaire de la Régie autonome des transports parisiens, bien moindre lorsqu’il s’agit de résorber les problèmes de bus ou de trams insuffisants, atteint là des sommets dignes des meilleurs scénarios de politique-fiction. Le voyageur – toi, moi, nous – sera filmé, clic-clac Kodak, et son visage matché avec ceux contenus dans… et bien dans la base de données des voyageurs, constituée grâce aux photos obligatoires du passe Navigo bien sûr ! Adieu les tickets qui se démagnétisent en douce et les cartes en plastok qui bipent, le voyageur sera débité directement sur son compte « Ma-Rateupeu », alimenté chaque mois en euros sonnants. Seuls y échapperaient les touristes de passage et les réfractaires à Navigo avec photos, qui pourraient bien, du coup, retrouver leur binette dans… le fichier des fraudeurs.

C’est beau, c’est simple, c’est high-tech, c’est, promis-juré, « moins d’attente et plus de confort pour le voyageur » (comme toujours) et en plus c’est rentable ! Réduction, voire suppression, à terme des bornes de validation et de rechargement, des contrôleurs, de la fabrication et de la gestion des cartes, etc. Mieux, comme le système sait qui passe en temps réel, il pourrait même le gratifier d’un joyeux « bonjour M. Durand ! » matinal, et lui balancer au passage une pub de voiture sur son smartphone. Pub dont la RATP saurait déjà qu’elle l’intéresse parce que les nouveaux afficheurs publicitaires – vous savez ces grands écrans déplaisants à regarder tellement ils agressent l’œil – sont équipés de capteurs optiques, autrement dit de caméras qui, elles aussi, auraient « reconnu » M. Durand lorsqu’un jour il a marqué un arrêt pour regarder une pub de voiture. 

C’est vraiment gagnant-gagnant… pour la RATP qui attend de cette expérimentation « la réalisation d’un démonstrateur permettant de quantifier la fiabilité du comptage et surtout de l’identification » pour décembre 2013. Au passage, ça rappelle le concours lancé par EADS Innovation, dont je vous avais déjà touché deux mots.

Il y a juste un gros, gros bug : c’est que la loi Informatique et Libertés ne permet pas un tel fichage biométrique de la population, qu’une majorité de voyageurs ne souhaitent sans doute pas se sentir ainsi traqués à chaque passage, et que ce genre de projet ouvre la voie à des pratiques totalement intrusives qui réduiraient le droit à la vie privée à l’état de souvenir.

Le problème est si gros et si coûteux en termes d’image, que la Régie, au vu des articles dans les médias, a rétropédalé illico. Elle a fait savoir que le projet était définitivement abandonné, d’ailleurs il n’aurait pas été validé par la hiérarchie, et serait même contraire à la déontologie de l’entreprise. Une erreur en somme. Sauf que, comme le relève PC INpact, le cahier des charges porte bien les noms de responsables des secteurs billettiques et cartes à puce de la RATP et que le projet a bel et bien été pensé, et sans doute validé, par une direction pour qu’il y ait un appel d’offres.   

Les velléités de contrôle des voyageurs du transporteur public ne s’arrêtent pas là. Récemment, une campagne d’affichettes dans les bus, trams et aux sorties de métro annonçait d’un ton de père fouettard des « amendes » de 5 euros pour qui n’aurait pas validé son passe Navigo. Motif avancé : mieux réguler le trafic. Raisons cachées : récupérer le plus possible de ces précieuses données de mobilité. L’initiative semble elle aussi avoir été étouffée dans l’œuf pour cause d’impopularité et sans doute d’irrecevabilité juridique. La non-validation n’étant pas au sens légal un délit, on voit mal comment il pourrait y avoir sanction. En tout cas, sachez-le, à la RATP on a l’imaginaire sécuritaire décomplexé, digne de Big Brother.

-L’article de Sete’ici

-Celui de Numérama

-Celui de PC INpact

-Celui du Figaro

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Temps de lecture : 5 minutes
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