Travail du dimanche : Anatomie d’un lobbying contre le code du travail

Le collectif « Yes week-end », celui « des bricoleurs du dimanche » et une porte-parole des salariés de Sephora sont les vitrines d’un combat en faveur du travail du dimanche et du travail de nuit. Comme avec le mouvement des « pigeons entrepreneurs », Matignon a confié une mission de concertation à Jean-Paul Bailly, ex-PDG de La Poste, très favorable à ce lobbying libéral.

Thierry Brun  • 30 septembre 2013
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La machine médiatique s’est emballée autour du collectif « Yes week-end » et de celui « des bricoleurs du dimanche » qui ont soutenu l’ouverture le dimanche 29 septembre de 14 magasins Castorama et Leroy-Merlin. Ces enseignes du bricolage, qui se sont vantées de ne pas respecter la loi, engagées dans une concurrence acharnée et dans une course au démantèlement du droit du travail, ont trouvé là un soutien qui ne doit rien au hasard.

Le lobbying contre le respect du repos dominical doit beaucoup à Jean-Claude Bourrelier, PDG de Bricorama , enseigne qui avait été condamné en janvier à ne plus ouvrir le dimanche. Le PDG est à l’origine de la plainte contre Castorama et Leroy-Merlin, deux enseignes concurrentes. Il a ainsi obtenu, le 26 septembre, que le tribunal de commerce de Bobigny ordonne à Castorama et Leroy-Merlin de cesser l’ouverture dominicale de plusieurs magasins en région parisienne, sous peine d’une astreinte de 120 000 euros par magasin et par jour. Une décision qui est tombée quelques jours après que la cour d’appel de Paris a rendu, lundi 23 septembre, un arrêt enjoignant notamment à Sephora (groupe LVMH) de ne plus employer de salariés au-delà de 21 h, sous un délai de 8 jours et sous astreinte de 80 000 euros par infraction constatée dans son magasin des Champs-Élysées.

La conjonction de ces décisions de justice a suscité l’éclosion rapide de collectifs qui ont occupé le devant de la scène médiatique ces derniers jours. Tel le Collectif « Yes week-end » (voir ici), qui affirme « regrouper les initiatives de tous ceux qui ont été interpellés et indignés par l’acharnement du dictat de l’organisation du temps de travail qui a frappé les travailleurs de Bricorama, Castorama, Leroy-Merlin, Sephora… » , dont la page Facebook créée le 29 septembre affichait plus de 10 000 « J’aime » lundi 30 septembre.

Page Facebook de « Yes week-end »

Cette page renvoie à celle du Collectif des bricoleurs du dimanche , dont la profession de foi indique : « Face aux récents événements qui touchent les magasins franciliens de bricolage et leur ouverture dominicale, plusieurs salariés de Castorama et de Leroy-Merlin ont décidé de s’unir sous une même bannière pour mobiliser l’opinion publique et faire bouger le gouvernement » . Son porte-parole est Gérald Fillon , employé au Leroy-Merlin de Gonesse, à l’initiative d’une pétition, lancée le 27 septembre et adressée à « François Hollande, Michel Sapin, Sylvia Pinel, Jean-Marc Ayrault » , qui a recueilli près de 13 000 signatures (voir ici). Le collectif dont il est le porte-parole n’a rien d’une initiative ponctuelle: il bénéficie des conseils d’une agence de communication, rétribuée par… les directions de Castorama et de Leroy-Merlin (lire ici)

Dans un communiqué de presse daté du 30 septembre, Jean-Baptiste Jaussaud , jeune porte-parole de « Yes Week-end » prend la défense des « travailleurs méprisés » : « Si l’on compte le nombre d’heures de travail supprimées dans toutes les entreprises touchées, on réalise que cette décision [de cesser l’ouverture dominicale] a créé l’équivalent d’un gros plan social » . Toujours selon ce communiqué : « Les salariés privés de travail ayant rejoint le collectif “Yes Week-End” sont extrêmement marqués par cette apparition subite de syndicats, systématiquement, extérieur à leur entreprise et très éloignés de leur quotidien qui détruisent une partie de leur emploi et nombre de leur projets » .

« Yes week-end »

Nous sommes fin 2007, Jean-Paul Bailly, à qui Jean-Marc Ayrault a confié le 30 septembre une mission sur le travail dominical, a rendu une étude sur « les mutations de la société et les activités dominicales » pour le compte du Conseil économique et social. Comme la lettre de mission de 2013, l'étude prétexte qu'il apparaît « souhaitable de procéder à des aménagements et améliorations du cadre juridique en vue de simplifier et clarifier les règles et d’en harmoniser les modalités d’application » . Déjà ! Sans préjuger de la conclusion du rapport que doit rendre en novembre Jean-Paul Bailly, celle concernant l'étude de 2007 est révélatrice de l'état d'esprit de son rapporteur : « Le modèle du dimanche traditionnel – religieux, familial et de loisirs non organisés – n’est plus dominant. Beaucoup attendent une offre plus large, culturelle et de loisirs, évènementielle, mais aussi d’achats hors du commun ; une offre organisée, souvent payante et nécessitant elle-même une activité salariée plus importante, avec des services accompagnants (transports, repas,...). Bref, l’évolution est finalement vers une journée où l’on ait le choix d’être aussi plus actif » . Jean-Paul Bailly préconisait à l'époque deux pistes qui étendent le travail du dimanche, notamment par une « adaptation » de la gestion des demandes de dérogation. <doc8128|center>
Celui qui s’exprime ainsi est le porte-parole de la très libérale association Liberté Chérie qui a pour vocation de « réformer » le modèle social français. Jean-Baptiste Jaussaud est un des promoteurs du très conservateur mouvement des Tea party en France et un entrepreneur marseillais averti, qui a soutenu le mouvement des « pigeons entrepreneurs » . Ce mouvement, qui a démarré en septembre 2012, a obtenu du gouvernement de Jean-Marc Ayrault la suppression de la taxation des plus-values de cessions d’entreprises, une préoccupation très éloignée de la défense des « travailleurs méprisés ».

Un surprenant mouvement est né aussi autour de l’enseigne Sephora . Ainsi, une centaine de salariés du magasin Sephora des Champs-Elysées ont assigné le 27 septembre en référé les syndicats du commerce de Paris qui ont obtenu gain de cause en justice pour faire respecter la loi sur le travail de nuit. Une certaine Marie-Cécile , « porte-parole des salariés qui veulent travailler de nuit » est intervenue dans les médias pour défendre cette cause, après la condamnation de Sephora. Il s’agit de Marie-Cécile Cerruti , une militante UMP, qu’on voit en compagnie du président du parti de droite, Jean-François Copé, membre du bureau national du Mouvement des étudiants (MET, classé à droite) (voir ici), la branche universitaire de l’UNI (Lire aussi sur le site Arrêt sur images et sur le site de Mediapart)

A la suite de ce lobbying 2.0, semblable à celui lancé en 2012 par le mouvement des « pigeons entrepreneurs », le gouvernement a réagi rapidement le 30 septembre et volontiers cédé aux pressions des enseignes en créant une mission de concertation sur ce dossier devenu explosif du travail le dimanche. Elle devra faire des propositions de réforme fin novembre. L’enjeu de la mission est d’ « examiner les faiblesses du dispositif actuel » et « d’éclairer les enjeux de l’ouverture de certains commerces » . Matignon a confié à Jean-Paul Bailly le soin d’organiser cette concertation.

L’ex-PDG du groupe La Poste est le principal artisan de la privatisation du service public postal, quitte à laisser en chemin des « gens un peu inadaptés » , qui ne supporteraient pas « un monde mouvant, provisoire, inachevé » , a-t-il déclaré dans le livre de Hervé Hamon « Ceux d’en haut. Une saison chez les décideurs » (Seuil 2013). Un autre dirigeant, celui de BNP Paribas, Baudouin Prot, a appelé de son côté à « bouger » et à « s’adapter » sur le travail dominical, notamment pour préserver la compétitivité de la place de Paris, première destination touristique mondiale.
Le gouvernement apparaît disposé à entendre ce langage, peu importe les conditions de travail et les salaires des employés « méprisés »…

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