Le Foll veut faire pomper le CO2 par l’agriculture

Le ministre de l’Agriculture a trouvé un truc pour régler le problème de l’effet de serre : doper l’absorption du carbone par les sols. Grande opération de communication à la COP 21 pour son initiative « 4 pour 1000 ».

Patrick Piro  • 4 décembre 2015
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Le Foll veut faire pomper le CO2 par l’agriculture

Illustration - Le Foll veut faire pomper le CO2 par l'agriculture

Dans un Pavillon France plein à craquer , le ministre de l’Agriculture joue les instit’, mardi 1 décembre au Parc des expositions du Bourget où se tient la COP 21. « Une simple règle de 3 » : sachant que les sols de la planète absorbent 1 500 milliards de tonnes de carbone par an, par dégradation et incorporation de matière organique (formation d’humus), il suffirait d’augmenter l’efficacité de ce mécanisme d’un taux de 4 pour 1000 (0,4 %) (« seulement ! ») pour absorber la totalité du CO2 émis par les activités humaines.

Et comme pour satisfaire à l’esthétique chiffrée, ce coup de dopage des sols produirait un « triple bénéfice » : l’atténuation de l’effet de serre (une contribution à : le ministre n’avance quand même pas qu’il a déniché LA solution…), une meilleure résilience de l’agriculture aux impacts du dérèglement climatique (des sols plus riches en matière organique retiennent mieux l’eau, notamment) et une amélioration de sécurité alimentaire des populations rurales — les sols retrouvent de la fertilité, surtout si l’on applique en priorité la recette Le Foll aux 30 % des terres dégradées que compte la planète.

Le ministre porte son idée depuis mars dernier. Mardi, c’était la cérémonie officielle de lancement, avec défilé à la tribune, entre autres, d’une dizaine de ministres étrangers en soutien « chaleureux » à « cher Stéphane ». Christian Schmidt, son collègue allemand, assure que son pays sera « heureux d’apporter un soutien significatif » au « 4 pour 1000 ». L’Australie et la Nouvelle-Zélande, pays d’agroindustrie lourde, ne sont pas en reste.

Simple comme de l’arithmétique élémentaire , et donc bien trop simpliste au goût des organisations de solidarité internationale, qui n’ont pas fait partie de la claque. Il était prévu un temps de débat, qui aurait sûrement introduit quelques contradicteurs dans le ballet des bises, il a été annulé.

Depuis six mois, les chargées de plaidoyer du CCFD-Terre solidaire et d’Action contre la faim, porte-voix du collectif d’ONG Coordination Sud rétif à l’idée du ministre, tentent en vain d’obtenir des réponses à des questions qui échappent aux calculettes : qu’est-ce qui empêchera le « 4 pour 1000 » de susciter un accaparement des terres ? (Puisqu’il y aura distribution d’aides à la séquestration de carbone). « Ce n’est pas l’outil qui ouvre la porte aux dérives, mais la défaillance des politiques agricoles locales », répond en substance le ministre.

De quelle manière seront distribués les subsides , quel suivi de l’impact des projets qui auront été estampillés « 4 pour 1000 » ? Vers quel type d’agriculture oriente cette initiative ? L’agroécologie, pourtant chère aux discours de Stéphane Le Foll, n’est pas privilégiée, ni aucun autre modèle. Peggy Pascal, d’Action contre la faim, s’est entendue signifier par des proches du ministre que rien n’empêcherait, par exemple, une monoculture brésilienne de soja OGM destinée à l’exportation d’être admissible, si la technique agricole employée démontre un accroissement du stockage du carbone dans le sol.

Les associations sont fort irritées de voir, encore une fois, qu’aucun garde-fou n’est en place. « Nous n’avons obtenu, en six mois d’interpellation, que deux sièges d’observateurs au comité de pilotage » , comptabilise Maureen Jorand au CCFD Terre solidaire. Et l’annonce par Stéphane Le Foll, au Bourget, que l’on mettrait en place une structure de gouvernance à laquelle les ONG seraient invitées. C’est pour 2016, un an au moins après la mise en branle de l’initiative. À laquelle n’ont jamais été conviés à réfléchir les paysans du Sud, dont la participation a pourtant été identifiée à la tribune comme « essentielle » à la réussite du « 4 pour 1000 ». Le ministre a beau dénier que ces opérations de captage par les sols ne s’ouvriront pas à la financiarisation, il était soutenu à la tribune au Bourget par Livelihoods, fonds carbone piloté par Danone dont l’objectif est d’investir dans la restauration d’écosystèmes pour émettre des compensations sous forme de titres financiers vendables sur les marchés de carbone.

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