« Jour après jour » de Jean-Daniel Pollet, Etre au monde

Réalisé par Jean-Paul Fargier, « Jour après jour » est l’œuvre de Jean-Daniel Pollet, mort sans avoir pu l’achever. Un beau film d’inquiétude et de sagesse.

Christophe Kantcheff  • 22 février 2007 abonné·es

Jean-Daniel Pollet est mort en septembre 2004. Juste après avoir écrit la trame d’un film fait de photographies. Un ami réalisateur, Jean-Paul Fargier, qui avait collaboré avec Pollet, s’est chargé de le réaliser. Voilà, en quelques mots, l’histoire de Jour après jour .

Percuté par un train alors qu’il filmait, Jean-Daniel Pollet était physiquement diminué depuis des années, et savait que sa fin approchait. Ce voyageur, amoureux de la Méditerranée, qui fut l’objet d’un de ses plus beaux films ( Méditerranée ), ne pouvait pratiquement plus se déplacer. Mais sa passion pour le cinéma était restée intacte. Il tourna ainsi Dieu sait quoi (1995), hommage à la poésie de Francis Ponge, et Ceux d’en face (2001). Pour Jour après jour , Jean-Daniel Pollet a opté pour une solution maximale : allier son immobilité ­ toutes les images ont été prises par lui dans sa maison du Lubéron ­, et la fixité des plans ­ des photos, réalisées chaque jour, pendant un an.

« Le cinéma, c’est le mouvement » : cette définition n’est pas fausse, mais ne doit pas réduire le cinéma à une caméra ou à des personnages qui bougent. La preuve : Jour après jour , constitué de centaines de photos, est un magnifique film de cinéma. Le mouvement y est dans sa composition même. Ici, le montage, les photographies montrées seules ou par série de quatre, la musique d’Antoine Duhamel, les bruits et le texte de la voix off ne cherchent ni une synchronie ni une harmonie. Mais chacun des éléments entre en résonance avec les autres, et participe à ouvrir les possibilités de sens. D’où l’éveil constant du spectateur, lui aussi, toujours en mouvement.

Les photographies de Jean-Daniel Pollet sont dignes des natures mortes de Chardin : d’une sensualité à couper le souffle. La présence au monde des choses , des végétaux ou des animaux en est le sujet même. Il s’agit d’une véritable « jouissance » à être, indifférente au temps humain (Ponge, là encore, n’est pas loin). Jean-Daniel Pollet le suggère ainsi : « Il n’y a pas de début. Des milliers et des millions de cycles sont en cours, roulent ensemble, parallèles… »

La tension du film, et l’émotion qu’il suscite, résulte du désir de Jean-Daniel Pollet de se fondre dans cette horizontalité (ou ce « vide » , qu’il situe entre le clic et le clac de l’appareil au moment de la prise de vue), désir toujours contredit par le rappel de sa condition d’homme plus que jamais mortel.

Ce rappel est souvent discret, parfois implicite, comme le passage des saisons, seul élément du film qui relève d’une « narration » linéaire. Mais il peut aussi s’agir d’un son, comme ceux de la mer, la Méditerranée peut-être, qui ne peut plus être qu’un souvenir pour le cinéaste ; ou d’un mot, « alcoolisme » ou « coma » , indications autobiographiques ; ou encore le bruit de la radio en sourdine.

Arraché à la souffrance du corps et à l’inquiétude de la mort prochaine, Jour après jour est un film existentiel, qui ne témoigne pas, mais offre une expérience en partage. Et invite à la sagesse : « Le temps ne passe pas. C’est nous qui passons à travers. »

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