La femme qui aimait la guerre

Véronique Mermoud interprète une « Mère Courage » de Brecht incandescente.

Gilles Costaz  • 15 février 2007 abonné·es

Que deviendrait mère Courage sans la guerre ? Elle mourrait de faim, la pauvre ! Elle vit de ce qu’elle vend sur les champs de bataille, des choses à boire, à manger, à porter. Alors, les tueries, faut qu’elles continuent ! Cela tombe bien : la guerre de religions où elle fait ses (petites) affaires sera appelée la guerre de Trente Ans ! Cela donne le temps de grossir sa pelote, et de ne pas se poser de questions sur l’intérêt de la paix… Sacré Brecht ! Il a beau traîner sa réputation d’auteur didactique, il a les audaces et les contradictions qui donnent aux pièces leur pérennité. Mère Courage et ses enfants , c’est bien l’histoire de cette cantinière âpre au gain qui ne comprend pas qu’elle est aussi une victime. La mort va frapper deux de ses enfants ; elle va rester avec sa fille muette et n’être qu’une pitoyable rescapée de ce conflit féroce où elle aura changé en vain de drapeau et de religion au gré des combats.

Pas facile à porter, cette pièce à la fois quotidienne et épique ! Il faut une vision de metteur en scène et une interprète hors pair. C’est ce qu’on trouve dans le spectacle que la compagnie suisse des Osses vient présenter à Paris, avant de partir en tournée. Avec la complicité de son scénographe, Jean-Claude De Bemels, Gisèle Sallin change l’espace. Il n’y a plus de charrette à bras traversant le champ de bataille ; c’est la carriole qui occupe le terrain, immobile mais capable de suggérer ses déplacements sur les sentiers de la guerre. La relation avec les personnages en devient plus intime. Ce grand carrousel est un peu déconcertant, mais il concentre fortement une action qui a tendance à se disperser.

Véronique Mermoud s’inscrit dans la lignée des grandes interprètes de mère Courage. Elle en a la force blessée, la ruse qui n’est qu’un masque, l’émotion qui surgit quand la carapace se craquelle. Et elle n’a pas de difficulté avec la musique de Paul Dessau, dont elle entonne rudement les songs, avec ses excellents partenaires, Vincent Bonillo, Alfredo Ganosso et Céline Cesa. Tout cela est à hauteur de boue et de ciel.

Culture
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