Bilan d’étape

Denis Sieffert  • 22 mars 2007 abonné·es

Depuis la validation, lundi, de douze candidats par le Conseil constitutionnel, c’est une nouvelle campagne qui commence. En principe, un peu plus équitable. Mais ne rêvons pas, le chronométrage des temps de parole n’empêchera pas les sondages de conforter chaque électeur dans son rôle de stratège oubliant ses convictions pour « voter utile », sans d’ailleurs que l’on sache utile à quoi ni à qui. La page est donc loin d’être blanche. Quelles leçons tirer au matin de ce nouveau départ ? La première concerne l’institution elle-même. Il paraît que ce n’est pas le bon moment pour le dire, disons-le tout de même. Cette compétition présidentielle, dans sa conception même, n’est plus digne d’une démocratie moderne. La personnalisation, l’hypermédiatisation engendrent une dépolitisation. Plus les candidats se croient en position de l’emporter, et moins ils sont tentés d’en dire. Et plus ils versent dans l’égocentrisme grotesque du « dialogue avec la France ». Ce moment d’hypnose national est encore plus ridicule quand les habits de l’histoire sont trop grands pour ceux qui les portent. Le véritable contenu politique, il faut donc le chercher chez les autres. Les idées, les grands enjeux, les changements, c’est du côté de Besancenot, de Buffet, de Bové et de Voynet. Là, à des degrés divers, se trouvent la critique des mécanismes du système économique, l’analyse des méfaits de l’activité humaine sur le climat, les effets des déséquilibres Nord-Sud et la remise en cause de l’élection du président de la République au suffrage universel…

La deuxième leçon est une confirmation. Elle concerne le candidat de l’UMP. Nicolas Sarkozy doit être pris au sérieux quand il parle de « rupture » . S’il l’emporte le 6 mai, c’est l’idéologie Bush qui entrera bel et bien à l’Élysée. Un régime fondé sur l’apologie de la force s’installera. Toute forme de résistance au néolibéralisme sera traitée comme un début de délinquance. Les chimères d’une identité nationale blanche et judéo-chrétienne seront exaltées. C’est peu dire que la personnalité du principal candidat de la droite structure toute cette campagne, véritable référendum pour ou contre Sarkozy. La crainte légitime qu’il suscite, alliée à la confusion du discours de la candidate socialiste, a eu pour résultat de fabriquer le « troisième homme » : François Bayrou. Celui-ci empoche les dividendes du mot d’ordre le plus stupide et le plus antidémocratique de cette précampagne : l’appel au « vote utile ».

C’est en vertu de ce joli principe que le socialiste Julien Dray a tenté jusqu’au dernier moment d’interdire la candidature de José Bové. Et c’est en vertu de cette même invitation au « vote utile » que des électeurs de gauche égarés s’apprêtent à accorder leurs suffrages au très libéral candidat de l’UDF. Après tout, ils ne font que prolonger la logique des magouilleurs de la rue de Solferino : si l’utilité se mesure aux chances de faire barrage à Sarkozy, n’est-ce pas Bayrou le mieux placé ?

Et puis, il y a la campagne des socialistes. Entre le programme du parti, le pacte de la candidate, ses brusques changements de pied, on ne s’y retrouve plus. Ces derniers jours ont été édifiants. Au moment le plus inattendu, Ségolène Royal a par exemple sorti de sa manche une VIe République que le PS avait rejetée en son dernier congrès. On peine à croire à une véritable transformation institutionnelle. À un vrai retour à la proportionnelle, d’ailleurs décrié par Jack Lang quand ce mode de scrutin est proposé par François Bayrou. Et encore moins à une refonte de l’institution présidentielle. Du coup, une proposition qui aurait dû faire l’unanimité à gauche suscite l’incrédulité. Mais, à propos de confusion, que dire de la cacophonie dans l’affaire Battisti ? C’est hélas DSK qui a eu le bon réflexe, alors que Ségolène Royal a sobrement considéré que l’affaire ne la concernait pas. Il s’agit pourtant d’un débat qui touche à l’identité morale de la gauche. François Mitterrand l’avait compris, qui avait assuré que la France n’extraderait pas ces anciens activistes de l’ultragauche italienne des années de plomb (voir aussi à ce sujet le bloc-notes de Bernard Langlois), condamnés sans avoir pu se défendre. Il s’agit d’une question quasi philosophique pour toute femme ou tout homme de gauche : la conviction que chacun peut s’amender. Quel conseiller byzantin a bien pu expliquer à Ségolène Royal qu’il fallait « coller » à Nicolas Sarkozy sur ce dossier ? L’affaire Battisti a presque valeur de test. Quand on ne sait plus écouter son instinct en de pareilles circonstances, c’est qu’on est bien malade de sa gauche. Le test joue dans les deux sens. Il n’y a pas un candidat à gauche du PS qui n’ait eu le bon réflexe. Celui, élémentaire, des droits de l’homme.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 4 minutes