Dépolluer la cité

La critique du système publicitaire prend de l’ampleur. En guerre contre la taille et la densité des affiches mercantiles, les mouvements antipub sont gagnés par des préoccupations environnementales. Et réciproquement.

Rémy Artignan  • 22 mars 2007 abonné·es

Samedi 24 février, 14 h 30, canal Saint-Martin, à Paris. Une cinquantaine de personnes écoutent des membres des Déboulonneurs, association de désobéissance civile qui milite contre l’oppression publicitaire. Brefs discours sur le système de la publicité, la légitimité de la désobéissance civile et la non-violence. À l’aide d’un haut-parleur, un des porte-parole avertit les occupants des fourgons de CRS de ce qui va se passer et leur demande d’attendre la fin pour intervenir, si possible sans violence. Puis le petit cortège se met en route, au son de l’accordéon, vers deux panneaux géants qui, en quelques instants, sous les applaudissements des spectateurs, se retrouvent barbouillés de slogans. Les militants tagueurs se dirigent ensuite vers les forces de l’ordre en brandissant bombes de peinture et cartes d’identité, encouragés par un public qui reprend en coeur « le Barbouilleur », sur l’air du « Déserteur » de Boris Vian [^2].

Ce type de manifestations, qui se répètent chaque mois dans différentes villes, témoigne d’un mouvement de fond : la contestation des dérives du système publicitaire a pris de la voix ces dernières années. Plusieurs associations ont vu le jour au cours de la décennie 1990, comme RAP (Résistance à l’agression publicitaire) ou Casseurs de pub. Dernier-né de la nébuleuse, le collectif des Déboulonneurs est composé de volontaires qui dégradent des affiches et cherchent à se faire arrêter, afin d’entraîner les afficheurs devant les tribunaux (un tiers des panneaux seraient illégaux en France). C’est aussi le credo de Paysages de France, une association qui lutte depuis 1992 contre la pollution visuelle, et dont l’une des actions consiste à attaquer en justice l’État ou les afficheurs pour non-respect du code de l’environnement.

Le mouvement s’étoffe donc et possède aujourd’hui son organe de presse ( la Décroissance ), ses graphistes (Casseur de pub), ses actions juridiques, ses gestes de désobéissance, sa communauté Internet (www.bap.propagande.org), etc. C’est d’ailleurs en réponse à un appel lancé sur le web que plusieurs centaines de « barbouilleurs » avaient recouvert les affiches du métro parisien de slogans dénonçant la marchandisation du monde, à l’automne 2003. Ces manifestations cathartiques et spontanées exprimaient un ras-le-bol que les associations formulaient depuis plusieurs années, sans être entendues. Principale revendication : la réduction de la dimension et de la densité des panneaux publicitaires. Les Déboulonneurs proposent le format 50 cm par 70 cm et une densité maximum d’un mètre sur deux (taille de l’affichage associatif ou d’opinion à Paris).

D’une manière générale, c’est tout le monde de l’écologie qui est peu à peu gagné par ces réflexions, et réciproquement ! À l’origine, l’environnement n’était pas la préoccupation première des antipub. On trouve des dénonciations du caractère aliénant de « la réclame » dans les oeuvres d’Émile Zola, puis, dans les années 1970, dans les écrits de penseurs comme Edgar Morin ou Jean Baudrillard. Certains mouvements s’en prennent plus spécifiquement au sexisme des publicités, comme les Chiennes de garde, en 1999, ou la Meute, en 2000. Les associations comme RAP ou Casseurs de pub sont, elles, inspirées du mouvement nord-américain des Adbusters. Ces derniers dénoncent davantage le consumérisme que les problèmes écologiques. Casseurs de pub leur a d’ailleurs emprunté plusieurs campagnes, comme la Semaine sans télé ou la Journée sans achats. Mais, depuis une dizaine d’années, l’ampleur des problèmes écologiques a conduit les antipub à se préoccuper de plus en plus de l’impact environnemental du système qu’ils combattent. Parallèlement, la responsabilité toujours plus criante du capitalisme dans le désastre environnemental pousse les acteurs de l’écologie à s’intéresser à cette muse du gaspillage qu’est la publicité. Ainsi, Agir pour l’environnement lançait en 2004 une campagne intitulée « La pub véhicule un message polluant ». Le fait que le rassemblement des principales ONG environnementales ­ l’Alliance pour la Planète (www.lalliance.fr)
mène actuellement une campagne dénonçant les abus des publicitaires est aussi révélateur

« Le mouvement prend de l’ampleur mais reste limité par rapport à l’enjeu de société qu’il représente », résume Vincent Cheynet, ancien publicitaire et fondateur de Casseurs de pub. Le combat recueille en effet surtout un succès populaire. Selon Pierre-Jean Delahousse, président de Paysages de France, « c’est le seul sujet qui fasse l’unanimité parmi les personnes qui sont intéressées par l’environnement »
[^3]. La visibilité médiatique du mouvement demeure pourtant anecdotique, surtout face au monde de la publicité, grand financeur des médias ! « La critique de la publicité se heurte de plein fouet à la logique consumériste dominante, le mouvement se trouve donc marginalisé » , rappelle Vincent Cheynet. Les pouvoirs publics ne sont pas plus réceptifs. Paysages de France réclame d’ailleurs, et avant tout, l’application de la loi : une publicité de taille réglementaire, à jour de ses autorisations et cantonnée dans les espaces prévus à cet effet. Pourtant, selon le président de Paysages de France, avancer des théories antipub, c’est « le meilleur moyen de perdre [ses] subventions » .

Grâce aux actions de désobéissance civile, les esprits évoluent tout de même. Le 9 mars, sept déboulonneurs parisiens ont été condamnés à une amende d’un euro symbolique pour « dégradation légère », alors que le procureur de la République avait requis en janvier une amende avec sursis de 500 euros et la qualification de « dégradation grave » pour les actes jugés. Le même jour, le procureur du tribunal d’Alès a requis une amende avec sursis contre deux militants du Gard. L’un des condamnés parisiens, Alexandre Baret, a estimé que la sanction était une façon de reconnaître que la désobéissance civile restait « le seul recours […] pour faire avancer le débat » .

Ces actions d’éclat et les procès qui s’ensuivent contribuent à alimenter un débat qui peine souvent à sortir des cercles de militants convaincus. Alors que le mouvement ne cesse de séduire et bourgeonne en province comme à l’étranger, en Belgique par exemple. La contestation du système publicitaire gagne du terrain. Reste à y prêter attention.

[^2]: Retrouvez le compte rendu de cette action sur .

[^3]: 73 % des Français jugent la publicité envahissante selon un sondage Ipsos/Australie de décembre 2004.

Écologie
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