L’écologie par le marché ?

Jean-Marie Harribey  • 1 mars 2007 abonné·es

La production et la consommation peuvent-elles être réorientées dans une voie écologique en utilisant les mécanismes de marché ? La question dépasse le cadre de l’écologie, puisqu’elle peut être posée à propos de tout type d’objectif, mais cet exemple est assez illustratif. Les mécanismes de marché recouvrent les effets combinés de la flexibilité des prix et de celle des quantités produites et échangées. Les libéraux louent les mérites de la flexibilité, dont doit découler un équilibre stable à long terme. Ainsi se forge le mythe du meilleur des mondes : ni surproduction ni chômage dans le capitalisme concurrentiel ! Et si les pollutions s’accumulent et les ressources naturelles s’épuisent, c’est parce qu’on n’a pas mis en place les conditions d’une flexibilité salvatrice.

Depuis longtemps, les libéraux ont donc imaginé deux réponses possibles aux problèmes écologiques. La première est d’imposer une taxe qui augmente le prix de la ressource rare utilisée ou dégradée. La seconde est d’instaurer des droits de propriété sur les biens naturels, représentés par des permis d’utilisation ou d’émission négociables, valables pour une période donnée. Dans les deux cas, il s’agit de mettre fin à l’« externalisation », c’est-à-dire au report sur la société du coût des dégradations ou des pertes irrémédiables engendrées par des activités privées.

Les taxes ayant mauvaise réputation au royaume du moins-disant fiscal, les droits de propriété l’emportent largement dans l’esprit des libéraux. C’est ainsi que, dans le cadre du protocole de Kyoto signé en 1997, les pays industrialisés ont choisi de créer un marché de permis d’émission des gaz à effet de serre afin de réduire ceux-ci.

Dans les cercles critiques à l’égard du libéralisme économique, le prélèvement d’écotaxes est souvent préféré, car il aurait deux avantages : diminuer les pollutions ou les prélèvements abusifs et dégager des ressources financières pour des politiques volontaristes. On trouve même l’idée que l’échange des droits de polluer relèverait seul d’un mécanisme de marché, et que la taxe serait par essence politique, donc préférable dans une logique antilibérale.

Or, cette vision est contestable. Dans le cas d’une taxe, la régulation est confiée au prix, le marché ajustant ensuite les quantités ; dans le cas des droits de polluer, la régulation est assurée par la fixation de la quantité de pollution à ne pas dépasser, le marché ajustant les prix en conséquence. Mais, au-delà de cette différence, il y a plusieurs points communs entre ces méthodes. Le premier est d’exiger un choix politique a priori sur la norme écologiquement et socialement souhaitable, directement pour les droits qui seront échangés, ou indirectement pour fixer le bon niveau de la taxe. En 2005, un marché des permis d’émission de carbone a été mis en place en Europe. En deux ans, le prix de la tonne de carbone autorisée est tombé de 30 euros à moins de 1 euro parce que les quotas mis en circulation par les États et la Commission européenne étaient trop abondants, au point que celle-ci fut obligée fin 2006 de refuser les plans d’allocation des quotas aux entreprises que lui avaient soumis les gouvernements français et allemand pour la période 2008-2012.

Cette expérience révèle un autre point commun entre la régulation par les prix et celle par l’échange de quotas : il s’agit de faire payer le pollueur, en apparence l’entreprise productrice, en réalité le consommateur final parce que tout coût supplémentaire est répercuté sur le prix.

Dira-t-on que la mise en circulation de quotas ne fournit pas de recettes fiscales comme une écotaxe ? Cela ne tient pas à la différence de nature entre les deux formes de régulation, mais au fait que, dans le cadre du protocole de Kyoto, les États allouent gratuitement les quotas aux entreprises, qui les échangent ensuite entre elles moyennant finance. Mais il suffirait que cette mise en circulation soit payante pour qu’elle s’apparente à de la fiscalité.

Comme l’ajustement des prix et des quantités relève du même mécanisme de marché, l’important est de mettre la politique à la barre, parce que le marché est incapable de déterminer une norme autre que celle de la rentabilité et une répartition autre que celle qui avantage les plus riches. Lorsque la norme souhaitée par la société a été démocratiquement décidée, il reste à orienter la répartition de manière juste. Pour cela, on peut jouer sur les prix et sur les quantités. Mais si la fiscalité écologique se contentait d’être un supplément de prix, elle ne serait pas plus juste que les quotas. Elle doit être intégrée dans le cadre d’une fiscalité entièrement rénovée sur la base de la progressivité. Le marché doit être un outil au service de la politique, pas l’inverse.

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