Méchante humeur

Bernard Langlois  • 26 avril 2007 abonné·es

Je ne sais pas vous, mais moi, je ne vois guère de motifs de réjouissance dans les résultats de ce premier tour. Je suis même ­ en ce lundi matin 23 avril 2007, fenêtre ouverte sur une nature en fête, emplie d’odeurs et de chants d’oiseaux, qui invite au farniente, à la promenade ­, je suis, dis-je, d’assez méchante humeur d’avoir à les commenter. Tant je les trouve débilitants.

Pourtant, la participation, me direz-vous : ne voyez-vous pas là matière à se réjouir ? Certes, mieux vaut un corps électoral qui vote plutôt qu’un qui s’abstient. Et, cette fois, les Français ont voté massivement ; preuve, disent les optimistes, d’une bonne santé démocratique recouvrée. Ouais… On peut voir ça comme ça, si l’on considère l’élection du président de la République au suffrage universel comme un exemple de bonne pratique démocratique. Mais il est permis d’en douter, tant cette compétition, plus que toute autre, s’apparente à un concours de beauté, relève de la politique-spectacle, se prête à toutes sortes de démagogies et de manipulations. Du reste, dans tous les scénarios de réforme constitutionnelle (cette Arlésienne si souvent évoquée que serait une Sixième République), on butte sur cette fichue élection qui surplombe le système, que les Français considèrent comme un acquis, et dont ils viennent encore de démontrer qu’ils y tenaient.

Dans la mesure où elle le conforte, ce système, cette forte participation ne me réjouit donc qu’à moitié.

Quant au résultat des courses…

­ On notera d’abord qu’il est conforme à ce que souhaitait d’une même voix tout ce qu’on peut fourrer pêle-mêle dans le « cercle de la raison » : les partis dits « de gouvernement » (et leurs candidats), les grands médias (éditorialistes reconnus, débatteurs obligés, commentateurs patentés et autres faiseurs d’opinion), les instituts de sondage, etc. Il fallait ­ nous l’a-t-on assez seriné ? ­ que les choses soient claires et que se retrouvent face à face au deuxième tour le candidat de la droite « convenable » et celui (en l’occurrence, celle) de la gauche « responsable » . Il y a bien eu, un temps, un emballement passager pour Bayrou. Mais on est finalement revenu aux fondamentaux : droite contre gauche. Pour, nous disait-on, « un vrai choix de société » (car nous savons bien, n’est-ce pas, l’avons-nous assez constaté depuis un quart de siècle, que l’alternance au pouvoir des deux grandes familles politiques marque de considérables différences dans la façon dont sont gérées les affaires…). Donc, Sarko et Ségo, SVP, chers z-électrices et z-électeurs, merci de ne pas vous égarer.

Très bien, vous avez été raisonnables.

­ Corollaire : hormis pour les deux finalistes, bien peu de raisons d’exulter chez les autres candidats et leurs familles politiques. Bayrou fait le fiérot, mais son objectif n’est pas atteint : son beau score le rend, dit-on, incontournable pour la suite ; d’abord, est-ce si sûr ? Jusqu’où sont prêts à le suivre les élus de son camp prisonniers de leurs alliances avec l’UMP ? Et puis, faiseur de roi, c’est moins bien que roi, non ?

Quant aux autres, tous les autres, pour eux, c’est Waterloo. Pour Le Pen d’abord, bien sûr, dont ce fut le combat de trop ( « Et là , dit le lecteur, n’y a-t-il pas motif à se réjouir ? » « Sans doute , répond le chroniqueur, mais ce serait plus franchement si l’affaissement du Front national ne s’accompagnait du recyclage de ses thèmes dans le discours sarkozyste… » ) ; mais défaite aussi pour les trois B de la gauche antilibérale, qui nous font payer cher leur division : Besancenot tire, certes, son épingle du jeu, mais pour en faire quoi ? Le score de Buffet enfonce encore un peu plus le PCF sous la ligne de flottaison ; quant à la candidature pépère et improvisée de Bové (qui avait nos faveurs), elle n’a jamais réussi à décoller : c’est toute la « gauche du non », forte et unie au soir du 29 mai 2005, qui est aujourd’hui en déroute, et sans doute pas près de se relever. Arlette quitte aussi la scène sur un échec. Même fiasco pour Voynet et les Verts, et l’écologie politique avec eux.

Compte tenu de ce qu’est ce journal, de ce qu’il défend, ce dimanche 22 avril fut décidément une très mauvaise journée. Presque aussi navrante qu’un certain 21 avril passé.

Vote utile

C’est justement le souvenir de ce jour-là qui a sans doute marqué prioritairement le comportement de l’électorat de gauche : plus jamais ça !

Le vote utile en faveur de Ségolène a donc joué plein pot. Et le résultat du premier tour est d’abord un grand soulagement dans les bivouacs socialistes, vengés de l’humiliation de 2002. On se félicite même d’un score « historique » : « Aussi bien que Mitterrand en 1981 ! » Comment ne pas les comprendre, nos amis de la rose ? Mais cette deuxième place qui permet à leur candidate de rester en piste est loin de garantir la victoire finale : avec un Sarkozy qui caracole en tête avec six points d’avance, Mme Royal, qui dispose de peu de réserves sur sa gauche, va vivre un second tour difficile. Certes, d’Arlette à Voynet en passant par Buffet, Bové et Besancenot, tous appellent, explicitement ou implicitement, à voter pour elle ; mais ferait-elle le plein de ce côté-là que ce ne serait pas suffisant. Il lui faudrait encore, pour l’emporter, récupérer une bonne moitié de l’électorat de Bayrou et un tiers de celui de… Le Pen. Pas gagné ! Et il faut tout l’optimisme d’un Gérard Filoche pour prédire, à l’issue d’ « un combat enfin clair » , avec l’avènement d’ « une femme à la tête de la République » , celui d’ « une VIe République sociale, parlementaire, laïque, démocratique » ^2

Cher Gérard, on n’en demande pas tant. Mais, oui, nous voulons, comme toi, la victoire de Ségolène Royal, tant celle du petit caïd de Neuilly serait lourde de menaces pour notre héritage laïque et républicain. Voire pour la démocratie.

Lisez ces quelques lignes, dont je ne suis pas l’auteur : « La vraie Bible de Nicolas Sarkozy réside dans la pensée néoconservatrice américaine. Son vrai modèle ? George W. Bush. Plusieurs journalistes français ayant accompagné le ministre de l’Intérieur aux États-Unis en septembre 2006 ont raconté l’anecdote suivante. On lui demande en quoi il se différencie de George Bush. La réponse fuse, mélange d’humour à l’américaine, de fausse modestie et de provocation : « Il a été élu deux fois Président. Moi pas. » Il s’agit certes d’une boutade. Révélatrice, cependant. Spontanément, Nicolas Sarkozy ne voit rien qui le distingue de George Bush. Sauf que l’un a gagné deux fois une élection présidentielle. Et l’autre pas. Pas encore ? Nous voilà prévenus… »

L’anecdote est citée dans l’introduction d’un long rapport socialiste (une centaine de pages) qui décortique et met en garde contre « L’inquiétante « rupture tranquille » de monsieur Sarkozy » [^3] Et l’homme qui a coordonné ce rapport et signe les lignes ci-dessus est un certain Éric Besson. Celui-là même qui, après avoir trahi son parti et poignardé dans le dos sa candidate, vient d’annoncer son ralliement au candidat de l’UMP et du Medef réunis ( « après des discussions approfondies » , qu’est-ce que vous croyez !) et qui va parader à ses côtés sur les estrades du deuxième tour…

Je ne voudrais pas vous dégoûter définitivement de la chose politique. Mais avouez qu’il y a des jours où l’envie taraude de cultiver son jardin. Surtout quand la nature est en fête, emplie d’odeurs et de chants d’oiseaux.

pol-bl-bn@wanadoo.fr

[^3]: Et je ne résiste pas à vous citer aussi la conclusion : « Il se prétend porteur d’une ambition pour la France, mais ne vise qu’à satisfaire sa boulimie de pouvoir et sa volonté de puissance. Il se dit déterminé et se révèle pur opportuniste. Il se prétend franc et direct, il est cynique et calculateur. Il prétend dénoncer les prudences tactiques, il exhibe en fait son appétit démesuré du pouvoir. Il pourfend la langue de bois, mais en invente une forme nouvelle, le parler cru. Voilà cinq ans que Nicolas Sarkozy trompe et abuse les Français. » (L’inquiétante « rupture tranquille » de monsieur Sarkozy. Parti socialiste, 10, rue de Solferino, 75007 Paris. Et .

Edito Bernard Langlois
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