La palme de l’exploitation

En Colombie, la chaîne de production d’huile de palme ferme les yeux sur les pratiques hors-la-loi constatées dans les plantations, dénonce Fidel Mingorance,
de l’ONG Human Rights Everywhere.

Fidel Mingorance  • 31 mai 2007 abonné·es

L’un des principaux pays producteurs d’huile de palme est la Colombie. Ses exportations se font à 80 % en Europe. Une publicité très attractive soutient ce commerce. Les promoteurs gouvernementaux du modèle agro-industriel des grandes plantations et les départements publicité-marketing des grandes entreprises cultivatrices affirment que la palme à huile est profitable à tous. Dans les pays producteurs, elle serait un bienfait pour les finances de l’État, les entrepreneurs et l’ensemble de la société car elle entraîne, dit-on, de grands bénéfices sociaux, favorables à la paix et au développement national (qui se déguise aussi en développement « durable »). Dans les pays importateurs, elle profiterait aux consommateurs de la large gamme de produits dérivés tirés de sa culture, et globalement à la planète, car les plantations seraient de grands puits de carbone aidant à fixer le CO2 atmosphérique.

Comme toujours, il convient de prendre du recul par rapport à ces descriptions idylliques, en allant voir notamment ce qui se passe dans les zones de production. C’est l’objectif de l’étude «~Le flux de l’huile de palme, Colombie-Belgique-Europe~» [^2], qui a cherché à donner une idée générale de la chaîne agro-industrielle de l’huile de palme en analysant son impact dans les zones de production, les flux commerciaux engendrés vers l’Europe et les divers niveaux de responsabilité à chaque endroit de la chaîne.

La conclusion principale de cette étude est qu’il existe un véritable «~modèle~» colombien socialement préjudiciable. Violant les lois, la production colombienne d’huile de palme s’appuie sur la violence exercée par des groupes paramilitaires qui cherchent à contrôler le territoire. Jusqu’à vingt-cinq types de violations y sont associées, parmi lesquelles l’appropriation violente de terres ; le déplacement forcé ; l’assassinat de syndicalistes, de leaders sociaux et de paysans ; les massacres ; les disparitions inopinées ; le blanchiment d’argent du narcotrafic et le paramilitarisme par action ou par collaboration (financière, logistique ou opérationnelle).

L’analyse des zones de production d’huile de palme montre qu’il ne s’agit pas de faits isolés~: ils sont généralisés dans tous les complexes palmiers colombiens et commis, pour la plupart, par des groupes paramilitaires.Ce modèle peut être résumé en cinq phases~:

– L’attaque ou la conquête paramilitaire. C’est dans cette phase initiale que sont commis la plupart des actes de violence envers les habitants des futures zones de plantation. Les assassinats, massacres et disparitions forcées visent à créer un climat de terreur généralisée qui provoque des déplacements massifs et l’élimination de tout type de contestation sociale ou syndicale.

– L’appropriation illégale des terres, le vol ou l’achat sous menace armée. Les terres conquises par les paramilitaires entrent dans un processus de «~légalisation~» parfaitement irrégulier. Certaines sont directement volées à leurs propriétaires, d’autres sont achetées à très bas prix sous menace armée, et financées avec de l’argent provenant du narcotrafic. «~Vends, ou bien nous négocierons avec ta veuve~»~: telle est la formule qui résume la méthode.

– La plantation. Les entreprises qui arrivent mettent en place de grandes plantations de palme à huile. Si la zone est couverte d’arbres, elles font table rase et commercialisent le bois, ce qui représente un bénéfice ajouté devant compenser l’attente des premiers fruits (trois ans après la plantation). Dans la plupart des cas, les réglementations environnementales sont violées.

– Le complexe industriel. Le processus agro-industriel de production d’huile de palme débute. Les paramilitaires restent attachés aux plantations, dans de nombreux cas avec le statut de «~démobilisés~» affectés à des projets productifs. Cette «~tutelle~» paramilitaire doit garantir la paix sociale et le travail sous la menace des armes.

– Le contrôle territorial et le bénéfice économique. Au contrôle économique, politique et militaire des terres plantées fait pendant l’incorporation d’huile de palme dans le flux commercial du marché national et international.

– Cumul de terres, blanchiment d’actifs du narcotrafic, lutte contre la guérilla, modèle économique et social chapeauté par la violence paramilitaire… La convergence entre actions illégales ou délictuelles et actions légales (incitations gouvernementales à planter de la palme, investissements publics et privés et même participation de fonds internationaux d’aide au développement ou du Plan Colombie) ne manque pas de surprendre. Étrange cocktail s’appuyant sur l’idée que les cultures de palme sont un outil de développement économique rentable et utile à la pacification du pays.

– Les caractéristiques de ce modèle d’exploitation et la forte intégration de l’industrie de l’huile de palme colombienne conduisent à rechercher les responsabilités pour les violations commises au-delà des lieux où elles sont commises, en aval des plantations de palme. Sous l’angle des droits humains, le flux de l’huile de palme peut être caractérisé comme une chaîne de responsabilités ayant des maillons interdépendants, qui commence dans les zones cultivées et s’achève dans le panier des consommateurs de produits transformés finaux.

Certains des problèmes que pose le suivi des responsabilités ne doivent pas empêcher la recherche de justice effective, la réalité colombienne étant certes complexe mais non confuse. C’est pourquoi il est important de souligner quelques points~:

–Une grande part de l’huile de palme colombienne étant actuellement consommée à l’intérieur du pays, les violations doivent être jugées en Colombie.

– L’huile exportée, dont les volumes augmenteront sans aucun doute au vu de l’expansion massive des plantations, est principalement de l’huile de palme crue. Il est en effet plus rentable et meilleur marché de raffiner l’huile colombienne dans les installations du port de Rotterdam qu’à Barranquilla, pour des raisons d’économie d’échelle. Le problème est que les huiles en provenance de toutes les zones de production mondiales sont mélangées quand elles parviennent au port néerlandais. Les difficultés de suivi qui en découlent sont multipliées par le fait que l’huile n’est pas toujours le produit acheté par le consommateur final, mais un simple ingrédient utilisé dans la fabrication de centaines de produits.

– Une grande partie des violations associées à cette agro-industrie a lieu avant que la palme ne soit plantée. Les entreprises cultivatrices ne se considèrent donc pas comme coresponsables, omettant complaisamment d’expliquer comment elles ont obtenu les terres pour leurs plantations, ou comment sont composées leurs équipes de sécurité.

– L’agro-industrie colombienne d’huile de palme est caractérisée par un niveau élevé d’intégration, système dit d’alliances stratégiques ou industrielles. Bien qu’il intègre, sur le plan opérationnel et productif, des plantations, des usines d’extraction et des entreprises de commercialisation, ce système maintient soigneusement l’indépendance juridique des différentes entreprises qui interviennent dans le processus. Toutes affirment que si des violations sont commises, cela se passe dans les plantations.

Ces « explications » sont invoquées lorsque les atteintes sont tellement manifestes qu’elles ne peuvent plus être déniées. Les entreprises prétendent que la responsabilité juridique s’arrête aux limites de la plantation, et l’affaire se dilue dans un système juridique inopérant, au taux d’impunité extrêmement élevé en Colombie. Après avoir procédé au suivi du flux, on peut cependant affirmer que ces responsabilités concernent tout le système économique, bien qu’elles soient différenciées en fonction du maillon~: responsabilités juridiques et pénales pour certains, politiques pour d’autres, ou encore morales ou éthiques à d’autres échelons.

Actuellement, il est, à l’évidence, impossible d’affirmer que l’huile de palme colombienne est, éthiquement parlant, un produit «~propre~». Bien que de nombreuses entreprises cultivatrices colombiennes soient membres de la «~Table ronde sur l’utilisation durable de l’huile de palme~», dont le sigle en anglais est RSPO [^3], la situation dans les zones plantées de palme montre que ce label est insuffisant pour garantir les droits des travailleurs et des populations affectées par les cultures. Ou qu’il manque de mécanismes de contrôles appropriés pour qu’il en soit ainsi, ne dépassant finalement pas le stade du «~maquillage publicitaire~» pour des entreprises désireuses d’obtenir de plus grandes parts de marché et des aides publiques. Avec l’effet pervers d’induire une désinformation trompant le consommateur final, d’autant plus qu’il se trouve éloigné des zones de production.

D’un point de vue éthique, les consommateurs finaux de l’huile de palme peuvent-ils pourtant se dégager de leur responsabilité, alors qu’ils valident, par leurs achats, un tel système de production ?

[^2]: Étude réalisée par Human Rights Everywhere (HREV) pour la « Coordination belge pour la Colombie/Belgische Coordinatie voor Colombia ». Disponible en espagnol, en français et en anglais sur .

[^3]: Elle propose certains critères que les entreprises signataires doivent mettre en oeuvre. Selon les responsables du label, ces règles garantissent une production de l’huile de palme dans le respect de l’environnement et de manière socialement responsable.

Écologie
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