Le pote de Pol Pot

« L’Avocat de la terreur », de Barbet Schroeder, met au jour le parcours glauque, mais instructif, de Jacques Vergès au long d’un demi-siècle de luttes armées.

Christophe Kantcheff  • 7 juin 2007 abonné·es

L’affiche de l’Avocat de la terreur dit tout : Jacques Vergès, l’air frondeur, présente ses poignets à l’objectif comme si le spectateur allait lui mettre les menottes. Dans le rôle de l’accusé, ou de la victime, Jacques Vergès croit exceller. N’a-t-il pas écrit un livre à sa gloire intitulé le Salaud lumineux ? Mais voilà : l’affiche montre aussi à quel point il aime à s’exhiber, et combien l’image qu’il s’est fabriquée de lui-même passe avant toute chose. Jacques Vergès, ou l’avocat de cinéma, épanoui dans la société du spectacle. Un peu pathétique.

Illustration - Le pote de Pol Pot


DR

Jacques Vergès s’est sans doute cru le plus fort. Il n’a certainement pas vu venir Barbet Schroeder, dont le curriculum vitae aurait dû l’avertir. En particulier son film Général Idi Amin Dada, un autoportrait (1974) , véritable mise à nu consentante de la mégalomanie criminelle du dictateur. Il n’y a aucune fascination de la part du cinéaste envers la personnalité de Jacques Vergès. Schroeder ouvre son film par une phrase « forte » de l’avocat sur Pol Pot, niant l’ampleur des crimes de celui-ci. Le propos est si tonitruant qu’il en est presque risible. D’emblée, on comprend que le cinéaste ne ménagera pas l’avocat.

Mais Jacques Vergès n’est pas seulement dérisoire. Il est aussi un personnage historique, au sens où il a participé à un demi-siècle de luttes nationales ou révolutionnaires, ou encore terroristes, de la guerre d’indépendance en Algérie aux tristes prouesses meurtrières du célèbre Carlos.

Ainsi, l’Avocat de la terreur peut se voir sur deux plans, évidemment non étanches. Le premier est un essai de reconstitution du parcours politique et professionnel de Jacques Vergès, paradoxal a priori , puisqu’il part de la défense de responsables du FLN pour finir par celle de Barbie et autres dictateurs sanguinaires. Le film, qui fait intervenir des amis, des témoins et des historiens, parvient à rendre compréhensible la trajectoire de l’avocat. Même si l’énigme de sa disparition pendant huit ans (1970-1978) n’est pas totalement levée, il apparaît clairement que Vergès est sorti de cette période dominé par le cynisme et l’appât du gain.

Le second niveau du film est une traversée de cinquante ans d’histoire souvent obscure, parfois obscurcie à dessein, de combats plus ou moins révolutionnaires, des véritables résistances algérienne ou palestinienne au terrorisme le plus mafieux. Plusieurs personnages s’expriment alors ouvertement, comme Hans-Joachim Klein, ex-membre de la bande à Baader, qui, notamment, accable Klaus Croissant, ou Anis Naccache, ancien proche d’Arafat devenu pro-iranien.

La présence continue d’un homme de l’ombre explique pourquoi l’ensemble de ces témoignages, à prendre avec précautions, suggère l’existence d’un continuum entre ces phases, pourtant très différentes. Cet homme est un riche nazi suisse, François Genoud, peu avare de son argent pour certains des acteurs de ces mouvements. Barbet Schroeder a décidément eu raison de ne pas forcer le trait contre Jacques Vergès : l’enquête suffit en elle-même à mesurer la turpitude du personnage.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes