Quand l’Amérique débat de sa relation avec Israël

Aux États-Unis, des critiques de plus en plus fortes s’élèvent, en provenance de milieux très différents de la société, pour demander un rééquilibrage de la politique américaine en faveur des Palestiniens.

Samuel Ghiles Meilhac  • 14 juin 2007 abonné·es

Les récentes confrontations télévisées entre postulants démocrates et républicains pour l’élection présidentielle de 2008 semblent confirmer l’image d’une Amérique où le soutien inconditionnel à Israël continue de faire l’unanimité. Tous les grands candidats répètent à l’envi leur indéfectible soutien aux grands axes de la politique du gouvernement israélien~: construction du mur en Cisjordanie, recours aux assassinats ciblés, refus de dialoguer avec la Syrie, comme avec le gouvernement d’union nationale palestinien regroupant Fatah et Hamas, etc.

Illustration - Quand l’Amérique débat de sa relation avec Israël


George W. Bush et Ehud Olmert à la Maison Blanche, en mai 2006. NGAN/AFP

L’exemple le plus éloquent est celui de l’étoile montante du parti démocrate, le sénateur Barack Obama. À la fin des années 1990, le jeune élu du Sénat de l’État de l’Illinois s’était affiché à plusieurs reprises avec l’universitaire et écrivain palestino-américain Edward W. Said, professeur à Columbia, qui ne mâchait pas ses mots contre la politique israélienne dans les territoires palestiniens et la poursuite de la colonisation pendant le processus d’Oslo. Ces derniers mois, conscient de la nécessité d’apparaître comme un fervent défenseur d’Israël, Barack Obama a multiplié les déclarations en faveur d’Israël et a profité d’une rencontre à Chicago avec l’American Israël Public Affair Committee (Aipac) ­ l’élément le plus puissant du lobby pro-israélien ­ pour rappeler que les États-Unis devaient « préserver un engagement total pour la relation unique de défense qui les lie à Israël » ^2

Pourtant, cette apparente continuité ne doit pas cacher que, ces derniers mois, des critiques de plus en plus fortes se sont élevées, en provenance de milieux très différents de la société, pour demander un rééquilibrage de la politique américaine en faveur des Palestiniens.

Premier acte de ce qui indique une évolution du discours sur Israël, la reproduction, fin mars 2006, dans la prestigieuse* London Review of Books, de l’article « The Lobby » par John Mearsheimer et Stephen Walt [^3] , mis en ligne quelques jours auparavant sur le site de l’université de Harvard. Les deux universitaires, spécialistes des relations internationales et membres de l’école réaliste, analysent le rôle néfaste joué par les groupes de pression pro-israéliens dans la politique américaine au Moyen-Orient depuis 1967. Ils soulignent que l’extraordinaire soutien diplomatique, politique et financier dont bénéficie Israël de la part de Washington contredit non seulement les intérêts stratégiques des États-Unis, mais, de plus, ne sert ni la paix au Moyen-Orient ni même la sécurité sur le long terme de l’État hébreu. Cet article, qui a défrayé la chronique pendant plusieurs semaines, a subi les pires accusations de certaines personnalités américaines spécialisées dans la défense permanente d’Israël, mais a bénéficié d’un accueil plus serein en Israël. Le quotidien Haaretz avait notamment écrit, dans un éditorial, que l’ouverture d’un tel débat ne méritait « aucune condamnation » , car le coeur du problème était que le gouvernement israélien devait bien « comprendre que le monde [n’allait] pas attendre éternellement qu’Israël se retire des territoires » [^4].

La critique du soutien à Israël était jusqu’alors cantonnée à l’extrême gauche universitaire, autour de Noam Chomsky et de Norman Finkelstein, ou à l’extrême droite antisémite. Or, le second événement de taille est la publication par l’ancien président démocrate Jimmy Carter de son livre* Palestine : Peace, Not Apartheid [^5] De la part d’un homme politique connu pour sa modération, ce livre extrêmement critique à l’égard de la politique israélienne, avec la comparaison entre la situation en Cisjordanie et l’ancien régime sud-africain, montre que l’unanimité pro-israélienne n’est plus de mise dans le discours public.

Accusé par de nombreux défenseurs inconditionnels d’Israël d’être anti-israélien, voire antisémite ­ ce qui ne manque pas de surprendre à l’égard de celui qui a parrainé lors de son mandat les accords de paix entre l’Égypte et Israël ­, l’ancien président a bénéficié d’une grande couverture médiatique et a passé plusieurs semaines à faire une tournée de conférences sur son livre dans les universités du pays.

Le dernier élément qui confirme ce changement, c’est le rapport, en début d’année, de la commission présidée par James Baker. Dans ses recommandations, l’ancien chef de la diplomatie de George Bush père, qui avait su faire pression sur le gouvernement israélien au début des années 1990, souligne le rôle central de la non-résolution de la question palestinienne dans la rancoeur des peuples du Moyen-Orient à l’endroit de Washington.

Dans le cadre d’un possible retrait américain de l’Irak après 2008, un rééquilibrage de la politique américaine dans le conflit entre Israël et la Palestine est envisageable. Démocrates comme Républicains savent que seule une avancée politique sensible sur le dossier israélo-palestinien, comme un gel de la colonisation ou une reprise des négociations sur le statut final, seront à même de permettre à Washington de restaurer son image dans la région.

[^3]: The London Review of Books, vol. 28, n° 6, 23 mars 2006.

[^4]: Haaretz, Tel-Aviv, 22 mars 2006.

[^5]: Palestine : Peace, Not Apartheid, Jimmy Carter, Simon & Schuster, 2006.

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