La voix de la vielle

Jouée depuis plus de mille ans, la vielle à roue n’est pas qu’une curiosité folklorique. Pour Pascal Lefeuvre, qui se produit dans plusieurs festivals, elle convient à tous les répertoires, même les plus contemporains.

Denis Constant-Martin  • 26 juillet 2007 abonné·es

Vous avez appris la guitare classique, vous avez aussi joué du banjo et de l’accordéon. Pourquoi avoir finalement choisi la vielle à roue ?

Pascal Lefeuvre : Si j’étais pianiste, me poseriez-vous la même question ? [Rires.] C’est vrai que la vielle à roue est un instrument un peu rare. Pour moi, c’est une histoire d’affinité et d’intimité. Quand j’étais ado, je baignais dans le milieu du folk, la vielle à roue y était l’instrument roi : je l’ai croisée et ai été fasciné par son univers mystérieux. En 1976, j’ai commencé à en jouer, j’ai abandonné les autres instruments et, comme je n’en ai pas encore fait le tour, je continue.

Comment avez-vous appris ?

Comme pour un autre instrument : j’ai fait un stage. La vielle à roue existe depuis mille ans et a toujours été jouée ; il y a toujours eu des joueurs de vielle, même si on ne les voit pas à la télévision. Donc il y avait des stages, j’en ai fait un, et après j’ai travaillé seul. J’ai démarré tout de suite sur une vielle moderne mais, si l’instrument a évolué, le principe de base n’a pas changé, on en a simplement augmenté les possibilités. Moi, je joue de manière traditionnelle ; je me situe comme interprète et je dois m’adapter aux musiques.

Si je fais de la musique du Moyen Âge, je vais essayer de coller à l’imaginaire du Moyen Âge, je dis bien l’imaginaire, parce qu’on est dans l’incertitude quant à l’interprétation exacte ; quand je joue du jazz, je vais m’inspirer des phrasés des saxophonistes. En général, j’aime les musiques dans lesquelles il y a beaucoup de liberté. Avec la vielle à roue, on a une marge énorme de découverte, la possibilité d’amener cet instrument où il n’est jamais allé. Malheureusement, on l’a trop souvent cantonné à la musique « traditionnelle », notamment du centre de la France, à la musique à danser, pour laquelle cet instrument convient bien, mais il peut jouer autre chose. Alors, en tant qu’interprète, ça me plaît d’aller faire ce qui n’a pas encore été fait avec une vielle.

Vous jouez donc des répertoires très divers ?

Oui. J’aime bien la musique de bal, que ce soit en reprenant des airs traditionnels ou en jouant mes compositions, comme avec Balatoutan, où la vielle est accompagnée par une basse et une batterie : c’est du « roots millénaire » authentiquement d’aujourd’hui… Je joue d’autres compositions, et des pièces orientales classiques, avec le joueur de oud marocain Driss El Maloumi, et, avec Tre Fontane, nous interprétons le répertoire arabo-andalou.

J’ai fait bon nombre de duos dans des styles différents ; j’ai participé à l’expérience du grand orchestre de vielles à roue, le Viellistic Orchestra, avec lequel nous jouions, entre autres, de la musique contemporaine, que j’ai aussi interprétée en soliste ou, naguère, avec la Compagnie aquitaine des solistes associés. J’aime improviser avec des musiciens de jazz… La vielle à roue a toutes les possibilités ; c’est le musicien qui a des limites, pas l’instrument.

Qu’interprétez-vous cet été ?

Je propose deux programmes. Le Trio Atlântico avec des musiciens brésiliens (Carlinhos Antunes, guitare ; João Parahyba, percussions) ; ils ne connaissaient pas la vielle, c’est donc une découverte mutuelle passionnante, et cela aboutit à une musique pleine de liberté et de swing, qui combine joliment le raffinement harmonique des Brésiliens et le côté modal de la vielle. Par ailleurs, l’ensemble Tre Fontane (Romie Estèves, chant ; Thomas Bienabe, oud) présente « Musique à la cour d’Aliénor d’Aquitaine ». Aliénor fut une grande protectrice des troubadours et des trouvères. Nous interprétons des chansons de son grand-père Guillaume IX, de son fils Richard Coeur de Lion, et des troubadours de sa cour, comme Guacelm Faidit et Bernart de Ventadorn. Thomas Bienabe joue un oud oriental, ma vielle à roue est actuelle car nous nous situons dans l’imaginaire. Nous sommes fidèles au texte, à ce qu’il en reste, mais il est suffisamment ouvert pour que nous lui donnions les couleurs que nous voulons, en essayant d’éviter les clichés qui ne peuvent pas correspondre à la réalité de cette époque.

Nous aurons donc un été très éclectique et j’en suis heureux car je voudrais qu’on arrête de considérer la vielle à roue comme un instrument rare ou spécial, mais qu’on l’entende comme un instrument ordinaire qui se mélange aux autres et leur apporte sa voix propre.

Culture
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