« Mettre fin à l’hystérie anti-cubaine »

Selon Ignacio Ramonet, qui signe
un livre d’entretiens avec Fidel Castro,
le retrait forcé de
ce dernier pourrait faciliter une résolution douce
du conflit qui oppose Cuba aux États-Unis.

Patrick Piro  • 19 juillet 2007 abonné·es

L’hospitalisation de Fidel Castro, il y a un an, et alors qu’il n’est toujours pas réapparu en public, semble servir une troisième voie pour la transition politique à Cuba, que la plupart des observateurs voyaient déclenchée par la mort de Castro ou par son renversement…

Ignacio Ramonet : En effet, l’arrivée au pouvoir de son frère Raúl Castro, si elle n’est pas une surprise, a été permise par une circonstance imprévue. Aujourd’hui, bien qu’il en ait encore la fonction, Fidel Castro n’est plus, en pratique, le chef de l’État cubain. Cependant, dans l’esprit des habitants, Castro est bien plus que cela : il reste le vainqueur de la révolution, un chef militaire et un meneur charismatique. Il est entré ces derniers mois dans la peau d’un sage qui dispense ses réflexions sans exercer directement le pouvoir.

Raúl, quant à lui, adopte un profil très bas. Il ne prononce aucun discours. C’est un pragmatique, qui s’est fixé trois objectifs concrets : améliorer l’alimentation, le logement et les transports.

Après la chute du Mur, Cuba a pu apparaître comme un isolat archaïque. Quel rôle ce pays joue-t-il aujourd’hui dans une Amérique latine qui a largement viré à gauche ?

On assiste à une sorte de réhabilitation. Les dirigeants de gauche manifestent du respect pour ce pays qui a payé très cher sa fonction de « conservatoire » des aspirations historiques des peuples latinos ­ identité, indépendance, souveraineté, réformes agraire, de la santé, de l’éducation, etc. La reconnaissance la plus spectaculaire ne vient d’ailleurs pas du Vénézuélien Chávez, le « fils spirituel » de Castro, mais du président bolivien Morales, d’origine ethnique et de culture politique bien différentes, et qui reconnaît à Castro le mérite d’avoir « maintenu la flamme ».

L’Amérique latine a donc banalisé ses relations avec Cuba, qui n’est plus la locomotive idéologique du continent, rôle qu’assume aujourd’hui le Venezuela. Le pays pourrait d’ailleurs probablement réintégrer l’Organisation des États américains (OEA) s’il le souhaitait, car il dispose désormais d’appuis pour cela. Par ailleurs, Cuba est membre de la jeune Alba [^2], marché commun fondé sur l’échange de produits et de services lancé par le Venezuela, qui comprend aussi la Bolivie et le Nicaragua, et peut-être bientôt l’Équateur et Haïti.

L’Union européenne et l’Amérique latine ont depuis longtemps pris leurs distances avec la politique des États-Unis envers Cuba. N’y a-t-il pas matière à desserrer l’étau avec ces partenaires ?

Les analyses considèrent souvent qu’il suffirait que les dirigeants cubains le veuillent pour que la situation change. Mais la réalité, c’est qu’elle est très fortement déterminée par la position des États-Unis. L’asphyxie provoquée par le blocus s’est encore aggravée ces dernières années : une entreprise étasunienne n’a le droit de vendre aucun bien ou service à des ressortissants cubains ; aucun matériel comprenant des pièces fabriquées sous licence étasunienne ne peut leur être vendu, même s’il est fabriqué par une entreprise européenne !

Aujourd’hui, il est important de mettre un terme à l’hystérie anti-Cuba. Alors que le Mur est tombé il y a bientôt vingt ans, l’affaire se résume désormais à un contentieux économique : les États-Unis réclament 56 milliards de dollars pour les expropriations de 1961 ; Cuba, de son côté, a évalué à 86 milliards de dollars le préjudice de l’embargo, adopté en violation des règles de l’ONU. Ce sont les États-Unis qui persistent à idéologiser ce conflit, refusant de discuter et poursuivant l’obsession de renverser Castro.

L’année 2008 sera importante, avec l’élection présidentielle aux États-Unis en novembre. Même des voix républicaines commencent à réclamer un changement de politique. Le retrait progressif de Castro est une perche tendue. À plus forte raison s’il le confirme en mai prochain à l’occasion des élections cubaines, où il peut choisir de ne pas postuler à sa succession [^3].

[^2]: Alternative bolivarienne pour les Amériques.

[^3]: Le chef de l’État est élu à Cuba au suffrage indirect depuis 1994.

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