Peut-on critiquer le capitalisme ?

« Le Nouvel Observateur » a décidé d’annuler la publication d’un hors-série consacré aux « paradoxes du capitalisme ». Nous publions ici des extraits
des textes écartés, avant la parution d’un livre en novembre.

Thierry Brun  • 13 septembre 2007
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Peut-on critiquer le capitalisme ?

L’affaire, qui a connu plusieurs rebondissements et donnera lieu à la publication d’un livre fort attendu aux éditions La Dispute [^2], remonte à l’automne 2006. Le Nouvel Observateur prépare alors la publication d’un hors-série consacré aux « paradoxes du capitalisme » . Une vingtaine d’économistes, de sociologues et de philosophes, de différentes sensibilités, sont invités à plancher. Les textes recueillis exprimaient une grande variété de points de vue, et certains une critique franche du capitalisme. Le hors-série était quasiment prêt à être imprimé quand, soudain, à la demande de Claude Perdriel, directeur de la publication du Nouvel Observateur , le projet était abandonné.

Motif de cette volte-face, si l’on en croit Jean-Louis Laville [^3], l’un des sociologues recalés : « Il n’était pas conforme à la « charte social-démocrate » du journal. » La formule résonne comme un aveu : « On fait semblant de croire que la question serait encore celle de l’admission du marché par une gauche de gouvernement. En réalité, il y a bien longtemps qu’elle est tranchée. Ce qui subsiste, en revanche, c’est une dichotomie entre un maximalisme de rupture dans l’opposition et un comportement gestionnaire lors de l’accession aux responsabilités » , commente le sociologue.

Le numéro paraîtra finalement, mais sous un autre titre, « Comprendre le capitalisme » (n° 65, mai-juin 2007). L’inflexion est évidente. Quelques textes d’origine demeurent, mais la version « relookée » ne plaît pas à un certain nombre d’auteurs. Ceux-là s’opposent à la publication de leur texte, d’autres constatent après publication que leurs écrits ont été tronqués. À la suite d’un premier article sur le sujet dans Politis , l’AFP interroge Laurent Mayet, rédacteur en chef des hors-série. Celui-ci affirme que « le hors-série initial a été remanié de manière collégiale, intégrant de nouveaux papiers, des archives de l’Obs et de Challenges *, et environ 70 % des contributions initiales qui,* dit-il *, à ma connaissance n’ont pas été tronquées »* . Laurent Mayet ajoute que le directeur de la publication a adressé aux auteurs un courrier dans lequel il invoque « l’extrême sensibilité à ses yeux et l’importance des enjeux du sujet, au coeur de la campagne électorale » .

En vérité, plus d’une vingtaine de contributions ont été retirées, soit les trois quarts du numéro. L’essentiel de la substance critique a disparu. « La journaliste responsable du dossier a été écartée du projet, bref durement désavouée » , ajoute le sociologue Philippe Chanial. « Pour un magazine considéré comme étant de gauche, un tel dossier n’est pas publiable , conclut avec dépit Jean-Louis Laville. Quand on voit les contributions qui se sont substituées à celles prévues initialement, on ne peut que s’inquiéter. »

Le nouveau numéro débute par une table ronde extraite d’un colloque sur le thème : « Qu’est-ce qui nous divise (encore) ? Gauche contre droite. Peuple contre élite », organisé le 31 mars par le Nouvel Obs et la Fondation Jean-Jaurès. Ce qui, on en conviendra, nous éloigne du sujet initial. Et la discussion est accaparée « par ce que d’aucuns désignent comme « le cercle de la raison », des élites liées à des groupes internationaux, dont Claude Bébéar [considéré comme le parrain du capitalisme français] » , relève Philippe Chanial. On y trouve aussi Jean Peyrelevade, ancien patron du Crédit lyonnais, et d’autres noms connus qui ne choqueront guère les élites bien-pensantes.

Sont victimes de l’opération Enzo Traverso, auteur d’un texte sur le « capitalisme inhumain », et Gilles Campagnolo, sur la naturalisation du discours par les économistes. Sont exclus aussi, notamment, les articles titrés « l’indispensable Karl Marx » de Bruno Tinel, « l’utopie du travail flexible » de Christophe Ramaux, une réflexion sur la « démocratie de marché » de Jérôme Maucourant, etc. Politis publie aujourd’hui des extraits de certains de ces textes. En attendant leur parution intégrale sous forme de livre.

[^2]: Peut-on critiquer le capitalisme ?, éditions La Dispute, à paraître en novembre.

[^3]: Voir l’entretien qu’il nous a accordé, avec Philippe Chanial, dans Politis n° 956 (14 juin).

Temps de lecture : 3 minutes
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