Quand se soigner devient trop cher

La loi sur les franchises médicales met à mal le principe d’accès aux soins pour tous. Les populations défavorisées sont les premières touchées. Témoignages dans un cabinet médical de la cité du Franc-Moisin, à Saint-Denis.

Jean-Baptiste Quiot  • 27 septembre 2007 abonné·es

Sonnez et entrez. » Pas beaucoup de questions à se poser avant de franchir la porte du cabinet du docteur Didier Ménard, au septième étage d’une tour de la cité du Franc-Moisin à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). « J’ai des patients de 35 ethnies, mais ils comprennent tous l’inscription sur la porte » , explique le docteur, qui a l’habitude de tutoyer tous ses patients. S’il a choisi, il y a vingt-sept ans, de pratiquer son métier dans un quartier défavorisé, c’est justement pour cette relation de proximité qu’il entretient avec les habitants. « Je suis en quelque sorte le médecin de la famille. Exercer ici me permet en outre de pratiquer la médecine générale que je voulais faire, celle qui comprend tous les actes médicaux. »

Illustration - Quand se soigner devient trop cher


Médicaments moins remboursés depuis fin 2006.
DANIAU/AFP

Le quartier, situé à quelques centaines de mètres du Stade de France, « est souvent exploité complaisamment par des médias en quête de violence » , raconte Fatima Boutih, la secrétaire du cabinet. Cet été encore, la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, s’est rendue dans la cité pour réaffirmer la volonté du gouvernement de lutter contre l’insécurité. Pourtant, c’est une autre insécurité, un accroissement considérable des inégalités en matière de soins, avec la mise en place de forfaits et de franchises, qui frappe les habitants de ce quartier régulièrement sillonné par la police. Comme le résume Didier Ménard, le principe de la franchise est simple : « C’est au malade de payer. » En témoignent les patients rencontrés le 20 septembre dans son cabinet.

Le cas d’Édith Le Beux, 47 ans, est édifiant. « J’ai été opérée d’un anévrisme en 2000 et j’ai depuis des problèmes de diabète et de coeur. Je ne peux plus travailler, et l’ensemble des aides qui me sont versées s’élève à 630 euros, avec lesquels je dois tout payer. Je n’ai plus le droit à la CMU depuis que ma fille n’est plus à ma charge. Tout cet argent passe dans les soins. J’ai passé dernièrement six jours aux urgences, et avec le forfait hospitalier qui s’élève à 16 euros par jour, j’en ai eu pour 112 euros à payer de ma poche. Sans parler de l’euro [du forfait] à chaque fois que je dois voir le médecin, quand j’achète des médicaments ou quand j’ai besoin d’analyses. » Même quand les soins sont remboursés, Édith doit souvent faire l’avance : « ça m’oblige à faire des chèques sans provision. C’est un cercle vicieux. On pousse les gens à la faute. Parfois, je suis découragée et je préfère attendre avant de consulter, même si je souffre. » Elle a aussi une explication à la montée croissante du prix des soins : « je pense qu’ils veulent éradiquer les gens malades en faisant en sorte qu’ils ne puissent plus payer. On me fait sentir que je suis un poids pour la société. »

Louiza Benabdeslen, 59 ans, invalide, préfère quant à elle éviter le plus possible d’avoir recours aux soins. « Moi, je n’ai le droit à rien. Je n’ai aucune ressource, pas de mutuelle, pas de CMU. C’est mon mari qui prend tout en charge avec sa retraite de 800 euros par mois. Pour moi, la santé, ça passe après tout le reste, et surtout après mes deux enfants. La dernière fois que je suis allée dans une clinique pour mon genou, j’ai dû payer le ticket modérateur de ma poche : 230 euros pour une piqûre et 150 pour une radio, et sans aucun remboursement ! » Maintenant, même si elle doit encore faire des radios, elle renonce : « je ne les fais pas, ça me coûte trop cher. Je préfère garder l’argent pour ma fille, qui est encore à la maison. Le dentiste lui a d’ailleurs mis un appareil dentaire. Mais, comme il l’avait mal posé, l’appareil l’a blessée. On a été obligés de payer 113 euros pour faire une couronne. »

Maria Nouvais a ses trois filles à charge. Pour faire vivre sa famille, elle perçoit 880 euros. Elle est couverte par la protection sociale et bénéficie de la CMU. Mais cela ne suffit pas. « J’ai besoin de médicaments, mais ce sont des médicaments « déremboursés ». Je dois donc les payer moi-même. » Et la CMU ne résout pas forcément les problèmes : « c’est de plus en plus difficile de trouver des médecins et des cliniques qui acceptent des patients pris en charge par la CMU. » Depuis un an, elle essaye de se faire rembourser les 157 euros que lui a coûtés l’hospitalisation de sa fille, en vacances en Belgique. « J’ai une fierté et je n’aime pas demander de l’aide. Mais, là, j’avais vraiment besoin qu’on me rembourse cette somme. Je suis allée voir l’assistante sociale de la mairie, et la seule chose qu’elle a pu me dire, c’est que je n’avais qu’à travailler. Mais je ne peux pas travailler à cause de ma santé. » Maria ne se laisse pas décourager. Elle a même un souhait : « Ce que je voudrais, c’est rencontrer un jour Nicolas Sarkozy pour lui dire qu’il n’y a pas de justice ! Et lui faire entendre ce que c’est que d’être une femme seule avec trois enfants. »

Yari et Christelle sont assistantes sociales au collège Garcia-Lorca et témoignent du fait que des personnes préfèrent ne plus se soigner, une situation qui s’accentue avec le système de franchises. « On le voit physiquement sur les parents d’élèves qui viennent nous voir. Au niveau de la dentition, des yeux ou de la peau. En revanche, ils font tout pour leurs enfants. Mais leur santé à eux, c’est tabou, on n’en parle jamais. Ils ne peuvent plus payer. Notamment à cause des dépassements d’honoraires. Sur 40 dossiers de prise en charge de ces dépassements, seul un a été remboursé par la Sécurité sociale. »

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