« Refonder un bien commun »

Trois mouvements d’éducation populaire lancent un débat pour renouveler leurs pratiques et produire de l’utopie.

Politis  • 20 septembre 2007 abonné·es

L’état de la société française est la résultante d’un champ de forces antagonistes. Le triomphe de l’économie néolibérale, qui prend la forme d’une injonction sans limites à la consommation, a conduit à une mercantilisation des relations, fondée sur une idéologie privilégiant l’atomisation sociale par la mise en question de toute forme d’organisation collective. La lutte contre « l’État » en est emblématique. Ce système produit un divorce entre la dimension sociale du peuple et sa dimension politique, les mécanismes de la démocratie représentative ne pouvant plus, à eux seuls, promouvoir l’intérêt général et préserver le bien commun.

Croire que les organisations politiques, syndicales et associatives seraient restées à l’écart de ce mouvement de destruction de notre capacité à faire société est une illusion. Pour sortir de ce qui est indûment présenté comme une nécessité, voire une fatalité, nous devons comprendre pourquoi les organisations et institutions représentant ces champs ont contribué, même à leur corps défendant, à l’avènement d’un consensus socialement et culturellement correct. Comment elles ont été conduites à minimiser leur rôle de production d’utopies et de questionnement de l’ordre social, pour devenir otages d’un système contraire à leurs principes fondateurs. Que ce soit à propos des équilibres écologiques, des relations entre citoyens, du fonctionnement des institutions, nous sommes face à des impasses et dans la quasi impossibilité d’opposer un projet réellement alternatif.

L’hypothèse qu’une partie de leur impuissance trouve son origine dans la difficulté de penser autrement leur rapport au monde, particulièrement en ce qui concerne la relation au savoir et, ce faisant, à la prise de décision, donc au final à la politique, mérite d’être examinée. C’est ainsi toute la conception de l’organisation sociale qui serait à revisiter.

Il est urgent, dans ces conditions, de proposer un modèle alternatif dont le projet serait de permettre aux citoyens de refonder un « bien commun ». D’abord, en ce qui concerne les relations sociales, le dilemme ne peut se réduire à balancer entre exclusion et inclusion, ce qui n’a pour résultat que de laisser les inégalités en l’état. […] Des méthodes pour aborder la conflictualité sociétale doivent être expérimentées, afin que la mise en relation des savoirs particuliers de chaque groupe social élabore une connaissance partagée qui conduise à la construction collective de sens.

En ce qui concerne l’économique ensuite, preuve doit être apportée que « les fondamentaux » ne peuvent se réduire à ceux proposés par une vision libérale qui ne pense que croissance accélérée et suicidaire. Une économie solidaire reposant sur « une valeur sociale ajoutée » peut être promue en réfléchissant à l’histoire, aux mutations des associations sans but lucratif, porteuses d’un projet d’émancipation, et à partir desquelles pourraient être construites de nouvelles visions de « l’entreprise ».

Enfin et en ce qui concerne le politique, il faut promouvoir la démocratie comme un lieu de tension entre des groupes aux intérêts divergents, qui doivent trouver un compromis pour le bien commun. Ni les élus, ni les experts, ni les citoyens, n’ont à eux seuls le savoir suffisant pour venir à bout des questions qui leur sont posées. Ce n’est que dans un mouvement de confrontation, qui suppose des outils et des lieux publics pour exister, que s’inventera une démocratie de participation et de délibération citoyenne. Ce triple enjeu est un enjeu de culture. Il nous faut penser le passage de l’action culturelle comprise comme l’accession au patrimoine sous toutes ses formes à l’élaboration d’outils de compréhension du monde privilégiant l’agir, l’essai, le tâtonnement, les processus, le partage et la solidarité. […]

Nous devons affirmer que l’éducation populaire, qui repose sur l’affirmation de l’égalité en droit de tous les points de vue à propos d’une question concernant le vivre ensemble, est une réponse à ces trois défis. Nous devons travailler à l’approfondissement et à la diffusion de méthodes d’échange des savoirs et d’élaboration collective de visions du monde prêtant sens à notre action individuelle. Les partis politiques, les syndicats et plus généralement ceux qui considèrent devoir prendre des décisions ayant des conséquences sur notre vie, doivent être alertés et questionnés quant à cette nécessité de repenser leur relation avec le peuple. […]

L’éducation populaire n’est pas cantonnée aux loisirs ni à la jeunesse. Elle n’est pas non plus seulement une manière de poursuivre une instruction post ou périscolaire s’adressant à et ceux le peuple ? qui sont censés ne pas savoir. Elle représente peut-être, au contraire, l’art dont nous avons besoin pour construire la « haute culture » nécessaire à ce loisir presque oublié : s’occuper des affaires de la Cité pour le bonheur de tous, et qui porte le beau nom de politique. C’est en ce sens qu’elle peut devenir l’avenir de la culture.

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