Toits de secours

Face à la pénurie de logements, les 16-30 ans disposent d’une solution de repli : les foyers pour jeunes travailleurs. Le niveau de service varie, mais la procédure d’entrée y est bien moins contraignante que dans le parc privé.

Xavier Frison  • 6 septembre 2007 abonné·es
Toits de secours
© Unhaj, 01 41 74 81 00,

L’été a permis de retarder le problème, mais, désormais, ils n’y couperont pas. Pour des dizaines de milliers de jeunes, la rentrée commence par la quête fastidieuse d’un logement. Tous connaissent l’intransigeance de propriétaires toujours plus exigeants en termes de garanties, sans parler du cynisme et de la gourmandise des agences immobilières. Les minuscules chambres des cités universitaires sont prises d’assaut. Les aides au logement stagnent tandis que les loyers grimpent, le tout formant un cocktail décourageant pour qui cherche un toit.

Alors, on se débrouille~: à Paris, à Lyon, à Marseille et dans les autres grandes villes françaises, le squat chez des amis ou dans la famille est devenu la norme pour les étudiants, les stagiaires, les apprentis et autres travailleurs précaires. Même les jeunes salariés disposant d’un contrat de travail doivent user d’artifices similaires, quand les plus chanceux parviennent tout au plus à décrocher une «~studette~» de moins de 15 m2 à prix d’or. Évidemment, le sort des chômeurs, jeunes parents ou victimes d’un accident de la vie est d’autant plus délicat.

Illustration - Toits de secours


L’Union des foyers pour jeunes travailleurs a été créée pour aider paysans migrants, ouvriers et apprentis. DANIAU/AFP

Reste une solution de repli pour les retardataires, à condition d’être âgé de 16 à 30 ans. L’Union des foyers et services pour jeunes travailleurs, tout juste rebaptisée Union nationale pour l’habitat des jeunes (Unhaj), propose à ces jeunes en galère 40~000 logements disponibles en foyer de jeunes travailleurs (FJT).

Dans les années 1950, la France traverse une grave crise du logement. À l’époque, de nombreux jeunes occupent un emploi, mais éprouvent déjà les pires difficultés à se loger. À Paris, des milliers d’ouvriers, dont les trois quarts sont des jeunes, couchent dehors. L’Union est créée en 1955, sous l’impulsion de quelques militants de toutes origines. Elle rassemble les associations qui viennent en aide aux jeunes paysans migrant vers la ville et le travail en usine, et aux ouvriers et apprentis éloignés de leur famille, en mettant à leur disposition des «~foyers~» dans lesquels ils peuvent aussi trouver une aide matérielle, morale et éducative. Car les foyers de jeunes travailleurs ne veulent pas être de simples pourvoyeurs de logements. Dans chaque établissement, des activités ou un soutien administratif sont proposés aux habitants « pour les aider à s’ouvrir aux autres et à devenir autonomes » . Dès 1958, l’action socio-éducative est prise en compte dans le financement des foyers, au même titre que le logement, et ne cessera de se renforcer et de se diversifier au fil des années. Ainsi, les services d’aide à l’emploi se sont développés dans les FJT, avec l’ambition de devenir des « instruments d’insertion sociale et professionnelle des jeunes » . Les «~Points santé~», activités sportives et culturelles complètent le dispositif. Voilà pour la théorie.

En pratique, le tableau est forcément plus nuancé, au gré des expériences vécues dans des foyers aux prestations très disparates. Matthias, journaliste à Rouen, fut un locataire fidèle de divers établissements, à Aubervilliers de mai à octobre 2003, à Cergy-Pontoise de janvier à avril 2004, et à Rouen de juillet 2005 à février 2006. Pour lui, « l’un des premiers problèmes, c’est le manque d’intimité. Quand tu te retrouves dans des FJT de 300 à 400 personnes, ça ressemble plus à la colo qu’à un véritable lieu d’habitation. Avec tous les désagréments que cela comporte, comme le bruit dans les couloirs ou la musique qui hurle. Pas évident quand tu bosses beaucoup et que tu as envie de te reposer. D’autant que les murs sont souvent en carton… Il y a des règlements à suivre, mais c’est comme en cité U, ce n’est pas toujours respecté ». Le niveau de service est très variable : « À Aubervilliers et à Cergy-Pontoise, j’étais dans des foyers non rénovés. Autant dire qu’au niveau propreté, ce n’était pas l’idéal : prises arrachées, murs parfois décrépis, douches et toilettes collectives, et même quelques cafards à Aubervilliers. Confort minimum, donc. »

Dans la plupart des foyers, il est impossible de cuisiner dans les chambres. Un problème pour Tarek, un Tunisien de 28 ans, actuellement au foyer de Thionville et étudiant en licence Protection de l’environnement : « Pour ceux qui ne travaillent pas, les tarifs de la cantine du foyer sont un peu élevés. Si on n’y mange pas régulièrement, un repas revient à plus de sept euros. Cela dit, avec un abonnement, le prix descend à moins de cinq euros, et puis il y a une cuisine collective à disposition. »

Dans les chambres, d’une douzaine de mètres carrés, il est interdit d’héberger amis de passage et même compagne ou compagnon : « Quand mon fiancé vient de Paris, on est obligés d’aller à l’hôtel. Pour deux nuits, ça revient vite très cher, c’est un peu dommage. Au cas par cas, on devrait pouvoir obtenir des dérogations » , lance Leïla, 25 ans, également locataire au centre de Thionville, d’une capacité de 114 places.

Pierre se souvient, lui, de son expérience au foyer d’Épernay, entre juin et août 1998, alors qu’il était en stage de fin d’études : « Ce sont plutôt de bons souvenirs, si ce n’est certains drôles de types qui y logeaient. Des gars pas méchants, mais au casier judiciaire déjà bien garni à 16/18 ans, d’où de fréquentes descentes de flics. » Pour Leïla, arrivée à Thionville à l’occasion d’un CDD de moniteur-éducateur pour handicapés, rien de tout cela~: « C’est mixte, il y a une majorité d’hommes, mais ça se passe très bien. On fait pas mal de choses ensemble, des soirées, on se crée des amis, les gens viennent de partout, étudiants, salariés, du Sud, du Nord, des étrangers. » Sans oublier le suivi personnalisé : « Si on a un problème d’ordre administratif ou social, on peut se faire aider. »

Gros avantage de la formule, les conditions d’accès sont sans commune mesure avec le parc privé, voire social : « J’ai juste eu besoin de mes papiers et d’un entretien avec le directeur du foyer. Comme je touchais le RMI à l’époque, je disposai des ressources pour payer mon loyer, ce qui est quand même une condition indispensable » , se souvient Leïla.

À environ 350 euros mensuels, le loyer n’est pas donné, mais les différentes aides (CAF, allocation de logement temporaire, associations…) permettent de réduire sérieusement l’addition. Procédure d’entrée réduite au minimum, souplesse : la formule est attractive, et victime de son succès. La moyenne d’occupation au niveau national atteint 75 %, quand les foyers les plus demandés, en région parisienne, ou les mieux tenus, affichent complet tout au long de l’année. Si Matthias, enfin embauché en CDI, a préféré chercher un studio « classique », Leïla, elle, se sent chez elle en FJT~: « Franchement, je n’ai pas encore cherché dans le parc privé. » On la comprend.

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