Destins de socialistes

Denis Sieffert  • 4 octobre 2007 abonné·es

C’est l’histoire véridique de trois héritiers de Jaurès et de Blum. Du moins, est-ce le même mot qui les situe dans la tradition politique, un joli mot : « socialistes ». Rappelez-vous, ily a un an, ils bataillaient pour être candidat du principal parti de la gauche à l’élection présidentielle. Aujourd’hui, où sont-ils ? Qui sont-ils ? Ségolène Royal nous parle d’elle, toujours d’elle, dans la presse people. Quant à Dominique Strauss-Kahn, le voilà adoubé par Sarkozy et les dirigeants américains directeur général du Fonds monétaire international. L’une s’épanche dans VSD , l’autre accorde la primeur de ses pensées au Wall Street Journal . Deux destins « socialistes » après défaite. Si le mot a encore un sens, c’est sans doute que son étymologie est particulièrement résistante. Et le troisième, me direz-vous, Laurent Fabius ? Depuis le week-end dernier, il fait ou refait de la politique (voir l’article de Michel Soudais). Mais avec un art si consommé du contretemps que c’en est toujours irritant. De sa rentrée tout en subtilité, nous avons retenu que le « sage actif » allait devenir un « actif sage » . Sarkozy en tremble déjà ! Et le « peuple de gauche » en est ragaillardi. Bien sûr, on ne peut mettre un signe égal entre ces trois destins de socialistes après défaite. Mais, sous sa rhétorique ouatée, c’est toujours, hélas, de rivalités au sein du PS que Laurent Fabius nous parle. Sûrement pas d’un engagement à la hauteur des enjeux. Car il faut le répéter : ce qui se passe en France aujourd’hui, tant d’un point de vue social que moral, est d’une extrême violence. On ne peut se satisfaire de quelques formules léchées. Il s’agit à la fois de résister et de reprendre des positions idéologiques abandonnées en rase campagne (électorale).

Un seul exemple. Plus loin dans ce journal, Jean-Marie Harribey dénonce la confusion entretenue entre la durée individuelle du travail de ceux qui ont un emploi et le nombre total d’heures travaillées. Une approche sociale du « travailler plus » en somme, qui va de pair avec la réduction du temps de travail. Voilà une ligne de front politique lisible par le plus grand nombre. Une position identitaire de la gauche. Et un sort fait à un monumental mensonge d’État. On aimerait entendre la gauche unanime mener campagne sur cette question. En vain. Mais un autre mensonge, oeuvre des socialistes eux-mêmes, nous en dit long sur l’état de leur boussole idéologique : il y aurait une gestion de gauche du Fonds monétaire international. DSK serait Aristide Briand, et le FMI, la Société des Nations. Faut-il le rappeler : l’institution créée en 1944 par la conférence de Bretton Woods n’est pas une association caritative. Samission est d’assurer la stabilité du système monétaire international. Ce grand urgentiste de l’économie mondiale, qui vole au secours des pays en cessation de paiement, n’a pas pour but le bien-être des déshérités, et moins encore la justice sociale. Son rôle est d’éviter les effets de contagion financière, les faillites bancaires en cascade. Ses programmes ont comme constante de contraindre les pays dits « déviants » à tailler dans les dépenses publiques. C’est généralement l’éducation et la santé qui font les frais de l’opération.

Que va donc faire DSK dans cette galère ? Toucher un salaire annuel de cinq cent mille dollars, disent les mauvaises langues, et ça ne va sûrement pas le rapprocher du peuple. Soit, mais à part ça ? Quand il évoque, dans le Wall Street Journal , ses projets de réforme ­ renforcer la représentation des pays émergeants que sont la Chine, l’Inde et le Brésil, et vendre une petite partie des stocks d’or du FMI ­, on se dit qu’il n’y avait peut-être pas besoin d’un socialiste pour accomplir de telles audaces. Du point de vue même de sa logique fondatrice, le FMI est plongé dans une crise irréversible. Les puissances émergeantes s’organisent de plus en plus pour mettre en place des systèmes régionaux qui se substituent à un organisme aux mains des grands argentiers du nord. Mais, surtout, le FMI est le produit de feu la toute-puissance des États. En premier lieu, des États-Unis, de loin le plus gros contributeur du fonds. Or, ce sont aujourd’hui les marchés qui font la loi. Ou, plus exactement, qui la défont. Les profiteurs étant, eux, toujours les mêmes. Face à des pouvoirs financiers de plus en plus autonomes, l’institution n’a plus guère de prise sur la réalité. La fable d’un « FMI de gauche » est donc à la fois risible et dérisoire. L’idée que l’exil doré de Washington pourrait surtout servir à fabriquer le futur candidat « socialiste » pour la présidentielle de 2012 fait frémir. Vous avez dit « refondation » ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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