Grandir sans trahir

La coopérative Scopelec, sous-traitant de France Télécom, s’est agrandie et compte plusieurs entités juridiques. Elle pose la question de la compatibilité entre le statut coopératif et celui de groupe industriel.

Yoran Jolivet  • 18 octobre 2007 abonné·es

Dans le Lauragais, « pays de vent, les câbles et les poteaux téléphoniques tombent souvent » , s’amuse Gérard Pontio, responsable qualité de Scopelec, lors d’une visite à l’une de ses équipes sur le terrain. Depuis 1973, les salariés de cette coopérative réparent les lignes téléphoniques des abonnés de France Télécom. Ils étaient sept lors de la création de la société coopérative ouvrière de production (scop) à Revel, ils seront 720 à la fin de l’année sur toute la moitié ouest de la France, produisant un chiffre d’affaires de 80 millions d’euros. Sur l’ensemble des salariés, seuls 200 sont actuellement actionnaires de la scop, mais « le but est de tous les intégrer » , annonce Jean-Luc Candelon, son président directeur général.

Devenue l’un des principaux sous-traitants de France Télécom, Scopelec a suivi le mouvement impulsé par les grands groupes en musclant ses effectifs. France Télécom a réduit son cercle de premier niveau de 400 entreprises, il y a dix ans, à une trentaine aujourd’hui. Pour continuer d’exister dans le secteur, Scopelec a dû croître très rapidement, racheter des concurrents, faire appel à de nouveaux capitaux, à des emprunts, et diversifier son activité. Elle compte aujourd’hui sept entités juridiques, dont une société capitale immobilière et une holding détenue à 80 %. Ses effectifs ont augmenté de 500 % en cinq ans pour « atteindre une taille critique afin de peser sur le marché » , explique son PDG. Scopelec a ainsi racheté des coopératives comme Etetp, cette année, mais également des entreprises classiques (Sauge, Texera). Elle forme aujourd’hui un véritable groupe avec un assemblage inédit.

D’après la Confédération générale des scop (CGscop), une dizaine de coopératives en France connaissent ce type de croissance fulgurante. Mais quand les scop se transforment en groupe, elles se trouvent confrontées à un double obstacle juridique et financier. Elles ne peuvent se saisir d’autres coopératives qu’à 49 % dans le cadre d’un rachat, ce qui « peut poser un problème de contrôle et d’application des décisions » , estime Jean-Luc Candelon. Car, sur le plan financier, les coopératives dépendent des capitaux de leurs salariés et de formes d’emprunts liés au secteur coopératif. Des outils financiers trop faibles lorsqu’il faut acquérir une entreprise importante et rivaliser avec une société anonyme disposant de leviers financiers importants. C’est l’une des questions majeures actuellement débattue en vue du prochain congrès des scop en mai prochain (voir ci-contre).

Outre les aspects techniques et financiers, cette aspiration des coopératives à se transformer en groupe soulève des questions sur le plan humain puisque les salariés sont également propriétaires de l’entreprise. À Scopelec, les mutations se sont opérées très rapidement et ont provoqué des interrogations plus que des remous. « Par rapport au fonctionnement familial d’avant, les gens ont un peu râlé. Le groupe est devenu plus hiérarchisé, plus structuré. Mais, grâce à la qualité du management, les choses se sont stabilisées. Puis ils ont bien compris les enjeux : la nécessité de garder les marchés » , défend Éric Nouvel, représentant syndical de la CFTC. Ce que Gérard Pontio, qui a vingt-six ans d’expérience dans cette société, confirme dans sa longue barbe grisonnante : « Je la vois évoluer très vite, un peu trop vite parfois. Faudrait pas que ça fasse l’effet d’un soufflé, mais on fait confiance aux dirigeants. » Toute la gouvernance de l’entreprise repose sur cette confiance. « Même si le management est reconnu, il n’est pas de droit divin » , explique Pierre-Georges Juskiewenski, directeur général des activités Syscom (réseaux intra-entreprise). Les salariés interrogés confirment que cette relation d’écoute et de communication forge l’identité de la scop, même quand celle-ci change de taille.

Dans une situation de forte croissance, la détention du capital par les salariés joue également un rôle moteur. « On reverse du salaire, mais l’entreprise est à nous. Cela change la motivation et le sérieux dans le travail » , affirme Yohan, technicien. « On n’est pas un numéro, on a droit de regard sur tout ce qui se décide en tant que sociétaire » , souligne Gérard Pontio. La coopérative mère ne compte d’ailleurs qu’un seul syndicaliste. « Le syndicalisme n’a pas vraiment lieu d’être ici, car les salariés se sentent représentés par leur statut d’actionnaires » , explique Éric Nouvel. Le risque, dans ce type de fonctionnement, serait de voir les dirigeants abuser de la bonne foi de leurs « salariés entrepreneurs » pour s’affranchir du code du travail. Difficile, cependant, de trouver des éléments concrets pour corroborer cette hypothèse. Scopelec est aujourd’hui dans une phase positive où les chiffres et les bénéfices légitiment les décisions de ces dernières années et apaisent les éventuelles critiques des salariés. Les sacrifices du passé (comme l’abandon du treizième mois) ont été possibles parce que l’objectif reste de « pérenniser l’outil de travail, c’est une stratégie industrielle et non financière » , indique Jean-Luc Candelon.

L’exemple Scopelec montre ainsi que, malgré quelques freins juridiques et financiers, le statut de scop n’est pas une barrière infranchissable pour grandir et devenir un groupe. L’adhésion et l’enthousiasme des salariés sont même des atouts essentiels par rapport au secteur économique classique. Reste à voir jusqu’où l’on peut concilier les intérêts des salariés et la compétition économique à grande échelle.

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