« Une chaîne de destruction »

Selon l’économiste Christian Jacquiau*, les propositions de la commission « pour la libération de la croissance » vont renforcer la déréglementation de la grande distribution, sans parvenir à doper l’emploi.

Thierry Brun  • 25 octobre 2007 abonné·es

La commission « pour la libération de la croissance française » présidée par Jacques Attali a rendu ses propositions. L’ancien conseiller de François Mitterrand prône une réforme de la distribution et du commerce. Quelle est votre analyse ?

Christian Jacquiau : Jacques Attali nous ressert de vieilles recettes. On en revient à cette idée que la consommation crée de la croissance, laquelle crée de l’emploi, grâce à une pression sur les prix à la consommation. Le rapport d’étape a oublié au passage que la mondialisation est passée par là et qu’une part toujours plus importante de ce que nous consommons est importée de pays socialement moins-disants.
La problématique n’est abordée qu’en termes de consommation, l’impact social et environnemental n’est jamais mesuré. Les propositions sur la distribution et le commerce sont inadaptées à la situation actuelle. Le modèle économique présenté a déjà montré ses limites, il détruit le commerce de proximité : 18 000 communes n’en ont plus. Il détruit le monde paysan en exigeant des pratiques agricoles productivistes et intensives lui permettant de conforter ses marges. De 6 millions de paysans en 1945, il n’en reste plus que 500 000 aujourd’hui, et le pays en perd 30 000 chaque année.

Illustration - « Une chaîne de destruction »


Le développement permanent de la grande distribution achève de tuer les commerces de proximité. DANIAU/AFP

Ce modèle économique détruit l’industrie en recherchant des prix toujours plus bas à la production. Moins de salaires, moins de cotisations sociales, moins d’impôts… Il est enfin un facteur aggravant dans la remise en cause des services publics de la santé, de la retraite, etc. La commission préconise d’alimenter et d’accélérer une chaîne de destruction et de déstructuration de la société.

Dénonçant un échec des lois Galland, Royer et Raffarin « sur les prix », le rapport Attali propose leur abrogation. Faites-vous le même constat ?

La commission Attali propose que toute réglementation touchant à la grande distribution soit abrogée. Il est inexact de parler d’échec de la loi Galland. Celle-ci n’a jamais eu pour objet de faire baisser les prix, encore moins les lois Royer et Raffarin. La loi Galland était destinée à remettre de l’équité et de la loyauté dans les rapports entre fournisseurs et grands distributeurs. C’était, à l’origine, un outil destiné à protéger le commerce de proximité. Elle se réfère aux conditions générales de vente et interdit de vendre à perte. Et tout ce qui se passe « en arrière », les fameuses marges arrière, c’est-à-dire les coopérations commerciales, sont considérées comme une autre rémunération qui ne doit pas servir à baisser les prix. La loi Royer de 1973 avait, de son côté, soumis à autorisation tout projet de grande surface de plus de 1 000 mètres carrés. La loi Raffarin de 1996 a aggravé la loi Royer en fixant la demande d’autorisation à 300 mètres carrés. L’objectif annoncé était de mettre un frein à l’hégémonie de la grande distribution, mais ces deux lois ont été inefficaces.

La commission assure que « ces réformes permettront d’augmenter et de diversifier l’offre de biens et de services, et de créer plusieurs centaines de milliers d’emplois » . Elle soutient une hypothèse de création de travail qui ne repose sur rien : la grande distribution s’apprête en réalité à supprimer des dizaines de milliers de postes en implantant des caisses automatiques.

Jacques Attali affirme pourtant qu’il suffit de supprimer ces lois pour « restaurer la liberté tarifaire » et obtenir une diminution de l’indice des prix, de l’ordre de 2 à 4 %…

Aujourd’hui, la loi interdit de vendre moins cher que le prix payé au fournisseur. Ce que préconise la commission, en supprimant la notion de vente à perte, c’est la reconnaissance et la légalisation de ces pratiques déloyales, quasi mafieuses, que sont les marges arrière. Or, le ministre du Commerce en 2005, Renaud Dutreil, reconnaissait dans une circulaire que les marges arrière sont comprises en moyenne entre 40 et 50 % du prix. Ce qui veut dire que la baisse des prix de 2 à 4 % est ridicule par rapport à la plus-value dégagée avec ces marges arrière. D’autant plus qu’elles augmentent de 2 à 3 % chaque année.

Quels seraient les effets des mesures préconisées ?

On va pouvoir implanter des hypermarchés partout, sans contrôle ni possibilité de recours citoyens. On va augmenter la puissance de négociation des grands distributeurs. Il ne faut pas croire qu’ils vont baisser leurs marges : la pression sera plus forte sur les fournisseurs, les agriculteurs, les industriels et les PME. Il y aura encore des gains de productivité à réaliser en baissant la qualité des produits et en délocalisant pour trouver des sous-traitants socialement moins-disants. Pour un emploi créé en grande surface, féminin, le plus souvent précaire et à temps partiel imposé, ce sont cinq emplois qui sont détruits par ailleurs.
En plein Grenelle de l’environnement, Jacques Attali préconise d’alimenter et d’accélérer cette machine infernale qui détruit tout sur son passage, l’humain et l’environnement. Lever l’interdiction de revente à perte est une menace pour des pans entiers de l’économie. La commission Attali propose ainsi d’organiser une concurrence déloyale, et la fin du commerce de proximité et de toute alternative commerciale.

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