« Le passage à l’autonomie doit être régulé »

À l’initiative d’un appel à sauver l’université*, Pierre Bayard, professeur de littérature à Paris-VIII, explique les raisons de la fronde contre la « loi Pécresse ».

Ingrid Merckx  • 29 novembre 2007 abonné·es

Avec des enseignants de Paris-VIII, vous avez publié une tribune dans le Monde du 21 novembre et créé, dans la foulée, un collectif rassemblé sous le titre : « Les présidents d’université ne parlent pas en notre nom ». Pourquoi ne pas avoir publié cette tribune au moment des négociations autour de la « loi Pécresse » ? Pourquoi le faire maintenant ?

Pierre Bayard : Comme le sait bien le gouvernement, qui a fait voter la loi le 10 août, les vacances ne sont pas le meilleur moment pour engager un débat ! Mais nous ne sommes pas restés inactifs. Dès le 12 juillet, l’université Paris-VIII réunissait ses trois conseils [d’administration, scientifique, études et vie universitaire], qui ont exprimé à l’unanimité leurs craintes devant le projet de loi. Et nos conseils, comme ceux de nombreuses autres universités, ont exprimé à nouveau cet automne un avis négatif. Il est dès lors étonnant d’entendre la ministre ou certains présidents d’université se réclamer du soutien des enseignants du supérieur. C’est pour dire cet étonnement que nous avons écrit ce texte.

Dans cette loi, vous fustigez principalement le renforcement du pouvoir des présidents au risque d’une extrême concentration des pouvoirs dans l’université. En quoi cela vous pose-t-il problème ?

Dans l’ancienne loi, le président de l’université disposait déjà de pouvoirs considérables. La nouvelle loi les augmente encore. Ainsi aura-t-il le droit (article 6) d’annuler toute élection d’un collègue par ses pairs ! Il n’est par ailleurs pas sain qu’il ne soit plus élu par l’assemblée des trois conseils comme auparavant, mais par les seuls membres élus du conseil d’administration. Sa légitimité s’en trouvera nécessairement affectée.

Vous citez d’autres risques tels que la « paupérisation de certaines universités », le « désengagement financier de l’État », ou la « remise en cause du statut de certains personnels »… Qu’est-ce qui se profile derrière cette réforme ?

La crainte de nombreux enseignants, de collègues de l’administration et d’étudiants est que l’autonomie conduise à un désengagement financier de l’État et à un enseignement supérieur « à deux vitesses », où certaines universités, en raison de leur situation géographique, du type de disciplines enseignées ou de droits d’inscription plus élevés, se trouveront privilégiées.

Que pensez-vous de la mobilisation étudiante actuelle ?

Les étudiants ont raison d’être inquiets. Nous ne sommes pas nécessairement d’accord avec toutes leurs analyses, mais nous demandons comme eux que s’ouvre un véritable débat, qui ne se limite pas à un dialogue entre la ministre et la Conférence des présidents d’université.

Êtes-vous rejoints par d’autres (enseignants, présidents d’université, personnels) ?

Le 24 novembre, s’est tenue à Paris, autour de notre texte du Monde , une rencontre entre des enseignants d’une vingtaine d’universités, afin de préparer une rencontre nationale. Je ne peux répondre avec précision pour nos collègues de l’administration et pour les présidents, mais celui de notre université nous soutient, et je crois savoir qu’il n’est pas isolé. Mais c’est à eux de se manifester, et notre appel le leur demande. Je voudrais ajouter une chose essentielle : je ne voudrais surtout pas donner le sentiment que nous sommes contre toute réforme. Le passage à l’autonomie peut être une bonne chose, à condition d’être régulé et d’être accompagné d’engagements financiers, par exemple dans le cadre d’une loi pluriannuelle. Il serait bon aussi de réfléchir à l’articulation des universités avec le CNRS et les grandes écoles. Les universitaires, j’en suis sûr, seraient heureux de participer à l’invention d’un nouveau modèle français. Encore faut-il qu’on ne les tienne pas à l’écart et qu’on ne parle pas en leur nom.

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