Le prof qui dit non

Florimond Guimard est inquiété par la Justice pour avoir tenté d’empêcher l’expulsion d’un sans-papiers. Cet instituteur marseillais
n’est pas le seul à réagir, et les autorités entendent prévenir les rébellions.

Xavier Frison  • 1 novembre 2007 abonné·es
Le prof qui dit non
© RESF13, c/o Mille Bâbords, 61, rue Consolat, 13001 Marseille, 06 31 32 48 65,

«Je ne peux pas vous parler, je suis sur une urgence. Sedat vient de se faire arrêter» . Ainsi va la vie au Réseau éducation sans frontières des Bouches-du-Rhône (RESF 13). Ce mercredi 24 octobre, c’est un jeune Kurde de 19 ans en situation irrégulière qui est embarqué au centre de rétention du Canet, à Marseille. RESF 13 et Barbara, qui vient de répondre au téléphone, sont sur le coup. Florimond Guimard aussi, malgré la menace de son jugement, attendu pour le 21 décembre. Car ce jeune professeur des écoles de 31 ans n’en est pas à son coup d’essai : le 11 novembre 2006, il est parmi les 200 personnes qui occupent l’aéroport de Marignane pour empêcher l’embarquement vers l’Algérie d’un parent sans papiers d’un élève de son école. La chute d’une barrière mobile involontairement provoquée par Florimond touche le pouce d’un policier. « Violence volontaire avec une arme » , tance le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence qui a convoqué Florimond Guimard le 22 octobre sous ce chef d’accusation. Devant la Cour, le militant s’en sort bien, en attendant le verdict : finalement, le substitut du procureur ne requiert qu’une « peine de principe » de deux mois de prison avec sursis, et 1 000 euros de dommages et intérêts pour chacun des trois policiers qui se sont portés partie civile. Florimond Guimard risquait jusqu’alors trois ans ferme et 45 000 euros d’amende.

Illustration - Le prof qui dit non


Florimond Guimard au tribunal d’Aix-en-Provence, lors de la première audience, le 20 avril 2007.
POUJOULAT/AFP

Le soufflé judiciaire retombé, il restait à goûter au joyeux raout « citoyen et républicain » organisé devant le tribunal en signe de soutien. Georges Pons, lecteur-correspondant de Politis dans le Gard et membre du conseil d’administration de l’association Pour Politis , était de la partie. « Le RESF Gard a affrété un car de 60 places au départ d’Alès, dont une bonne part était occupée par des Amis de *Politis , raconte-t-il* . Nous étions environ 2500 manifestants, dans une très chaude ambiance. À midi, les organisations politiques et celles du mouvement social ont pris la parole, avant le début de la marche de la Rotonde jusqu’au tribunal. Présence policière plutôt discrète, aucun incident à signaler. Les dépositions des policiers plaignants et la projection de vidéos de chaînes de télé ont eu raison des motifs d’inculpation précédemment retenus et ont conduit le procureur à proposer au tribunal la requalification du délit en « rébellion à l’autorité ». Manifestement, la personnalité de Florimond et l’estime générale dont il bénéficie ont joué en sa faveur. À l’annonce des réquisitions, les manifestants ont scandé : « Relaxez Florimond ! » »

Le voici enfin, Florimond, relax et disert au bout du fil et au bout de la nuit, après moult tentatives infructueuses pour le joindre. Avec un peu de recul sur la frénésie de ces derniers jours, le membre de RESF revient sur cette histoire de délit de solidarité. « Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy, la politique du chiffre et les méthodes employées ­ les rafles ­ entraînent des réactions [voir Politis n° 960] . Face à la violence officielle, les actions des gens ne sont finalement pas plus militantes que citoyennes. Mais le pouvoir joue la carte de l’intimidation. »* À Roissy, la police distribue des tracts aux passagers pour informer des risques encourus en cas de rébellion lors d’une expulsion. Et des préfets n’hésitent pas à rappeler à l’ordre les maires qui parrainent des sans-papiers… Dans cette guerre des nerfs, la solidarité plie mais ne rompt pas : « Certains procureurs invoquent même le caractère légitime de notre action dans une démocratie » , confirme Florimond Guimard. Avant de s’inquiéter du « puits sans fonds » que représente la logique du chiffre. Quoi qu’il advienne, le système RESF, avec son maillage national, fondé sur la capacité de réaction de la base, veille au grain. « Ce n’est pas en coupant une tête qu’on nous arrêtera » , prévient Florimond Guimard : « Nous avons cinq ans à tenir avec Sarkozy. En attendant, on espère que de plus en plus de personnes vont nous rejoindre. » Citoyens, sortez tracts et banderoles.

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