Jules-Édouard Moustic : Absurde et parti pris

Jean-Claude Renard  • 4 janvier 2008 abonné·es

Des trognes ordinaires, des villages suant le terroir, un président qui se travestit, une foule d’anonymes, vrais caves et trublions ratés gigotant dans la banalité du quotidien. Bienvenue dans la présipauté de Groland, dont la réalité parvient à la face du monde à travers son journal télé. « Du vin, du hasch, et du vin : c’est le 20 h 20. » Un journal présenté par un animateur emperruqué, Jules-Édouard Moustic, marqué par un montage serré au service d’un commentaire cinglant et décapant. Les stages de « Boire et conduire », l’augmentation de 200 % d’un président, Michel Sardouille et la rupture tranquillou d’un réac, un micro-trottoir sur l’insécurité où l’on fait dire exactement ce que l’on veut.

Moustic tire sur les parts de marché, les parts d’audience, mêle taux de pénétration et indice de satisfaction, livre les derniers programmes qu’il a fauchés à TF 1 (du crottin de cheval). Jeux de mots, jeux de vilains canards. Il y a les infos de Groland, avec les reportages de proximité façon Jean-Pierre Pernaut sans parodie nécessaire. Il y a aussi le regard de Groland sur le monde. Une échelle du décapage. Le scandale de l’Arc, la délocalisation de la « Pizza Express », une parodie des images d’Abou Ghraïb, la médiatisation d’un couple présidentiel.

Voilà quinze ans que Moustic a fondé Groland, véritable identité qui aurait résisté à l’invasion du politiquement correct. Autour de lui, formé à la radio, des électrons agités : un journaliste globe trotter, Benoît Delépine en Michael Kael, bidouillant ses reportages (à la manière de PPDA face à Fidel Castro), Christophe Salengro en président, Jean-François Halin, Franck Benoît, Francis Kuntz, Gustave Kervern et Franck Bellocq. Pas d’improvisation mais des textes écrits (par tous) et tournés dans les studios de la Plaine-Saint-Denis ou en extérieur (en Picardie). Des sketches travaillés. « C’est une question d’attention , confie Moustic, comme s’interdire le jeu de mots. Parce que si l’on retire le jeu de mots, l’histoire ne tient pas. Être dans l’ellipse, c’est pas mal. Il y a un intérêt à lire entre les lignes plutôt que frontalement. »

En trois lustres, une même ligne de conduite (ou d’inconduite), celle du refus de prendre le monde au sérieux. En dehors d’un bal de dupes. « Nous sommes des enfants de Goscinny, de Gotlieb, du professeur Choron , rappelle Moustic, dans le décalage et la liberté de ton. » Avec du non-sens, non dépourvu de sens. Où l’absurde s’étoffe dans un parti pris noir et féroce, où le récit rebondit sur l’actualité sociale, économique et politique. Mais pas seulement. « Il faut des sketches purement drôles, d’autres qui font réfléchir » , poursuit Moustic.
Ce qui donne un décryptage dans l’esprit tranchant du « Monty Python’s Flying Circus », une transposition à la manière du « Tribunal des flagrants délires », via la structure d’un journal télé subversif, résolument engagé contre les idées et les discours trop en place. Avec son poids de justesse dans le trait grossi.

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