Le forum social se disperse

Aux grands rassemblements planétaires, le mouvement altermondialiste substitue cette année des centaines de manifestations locales qui culmineront le 26 janvier. Pause, désaffection ou approfondissement ?

Patrick Piro  • 17 janvier 2008 abonné·es
Le forum social se disperse

Comment démentir l’antienne sur l’essoufflement de l’altermondialisme, voire les annonces de disparition, comme pronostiquée par l’un de ses inspirateurs [^2] ? Ces questions ne sont pas nouvelles, elles ressurgissent fin janvier depuis quatre ans, à la date où se tient traditionnellement le Forum social mondial (FSM). Mais elles s’imposent plus fortement cette année. En effet, pour sa huitième édition, après Porto Alegre (2001, 2002, 2003, 2005), Mumbai (2004), Karachi-Bamako-Caracas (2006) et Nairobi (2007), la grande messe annuelle fait relâche, après avoir assuré la visibilité du mouvement altermondialiste et contribué de manière décisive à son essor planétaire. Afin de faire pièce, comme depuis le début, au rassemblement du gotha mondial des économistes à Davos en Suisse (23 au 27 janvier), chacun a été invité à organiser son petit « forum social mondial local » ­ conférences, manifestations, concerts, etc. (voir encadré), foison décousue qui augure d’un grand silence médiatique. « L’altermondialisme doit reconquérir les esprits , analyse Gus Massiah, président du Crid, collectif d’ONG françaises, et membre du Conseil international du FSM. Car le forum a vu son image changer. Sa naissance a été accueillie avec sympathie, il a survécu au choc du 11 septembre 2001. Mais aujourd’hui il dérange la pensée dominante, par son ancrage pacifiste et anti-« guerre des civilisations ». »

Illustration - Le forum social se disperse


Le Forum social mondial de Nairobi, en 2007, était le premier en terrre africaine. MAINA/AFP

Quoi qu’il en soit, la caravane échevelée du FSM a besoin de souffler. Les troupes associatives, en surchauffe permanente, ont accompagné son train annuel, voire pluriannuel avec la multiplication des forums régionaux et nationaux. En France, la mobilisation 2008 n’a réellement débuté que début janvier. « Le passage à un rythme biennal est évoqué depuis longtemps, ne serait-ce que par défaut de lieu d’accueil bienveillant ­ pays, région, ville » , reconnaît Gus Massiah. Un mal pour un bien ? Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac, le défend : « Certes, il y a un risque de désaffection avec cette dissolution géographique, mais c’est d’abord une excellente occasion d’ancrer le mouvement localement. »

Ce qui n’empêche pas l’altermondialisme de poursuivre son essaimage. L’année 2007 aura été marquée par le premier FSM en terre africaine, mais aussi par le forum social d’Atlanta, premier rassemblement altermondialiste aux États-Unis, qui a réuni en juin dernier près de 16 000 militants ­ une prouesse de l’avis des observateurs ­, notamment sur le thème de l’inégalité sociale (après les ravages de l’ouragan Katrina, en août 2005). Et l’élargissement géographique se poursuit, avec la multiplication de rencontres maghrébines fin janvier (voir encadré) et l’organisation d’un forum social européen à Malmö (Suède) en septembre prochain, première incursion en Scandinavie. Enrichissement de la palette des thèmes et des acteurs, également, avec l’appel à organiser un forum social « science et démocratie » lors du prochain FSM « planétaire », prévu à Bélem (Brésil) en janvier 2009.

Ce travail de conscientisation et d’éducation populaire est nécessaire, mais il n’est pas suffisant, juge Bernard Cassen. Cosignataire d’un « Appel au socialisme du XXIe siècle » [^3], l’ancien président d’Attac estime désormais indispensable de dépasser le stade d’un altermondialisme dont l’hétérogénéité « exclut de sa part toute possibilité de développer une vision stratégique dynamique, cohérente et partagée, intégrant la conquête du pouvoir comme horizon de son action » . Référence explicite : l’expérience du Venezuela, définie comme le creuset du « socialisme du XXIe siècle » par son président, Hugo Chávez, qui avait pris le forum social de Caracas (2006) pour tribune afin d’exposer sa vision du changement planétaire.

Ce concept « post-altermondialiste » est perçu en France comme le coup de pied de l’âne par les défenseurs, majoritaires, d’une mouvance altermondialiste libre de toute idéologie ou programme. Pour Gus Massiah, ce débat traduit une divergence sur la notion même de « victoire ». « Gagner, est-ce nécessairement prendre le pouvoir ? , demande-t-il. Des gains, l’altermondialisme peut en afficher, et d’abord celui d’avoir contribué à l’entrée en crise du néolibéralisme. C’est une histoire en marche, qu’il faut voir dans sa continuité. » Et d’égrener quelques signes récents d’une vitalité discrète mais qu’il veut bien réelle : une journée de défense des services publics et de dialogue avec les mouvements sociaux, organisée par la mairie de Córdoba (Espagne), les mouvements de grève générale en Guinée début 2007, un forum des autorités locales « de périphérie » à Nanterre, une journée mondiale de la démocratie participative en Rhône-Alpes, etc.

[^2]: « L’altermondialisme, c’est terminé », expliquait Bernard Cassen, président d’honneur d’Attac, lors de la dernière université d’été du mouvement, en août 2007, propos rapportés par le Nouvel Observateur (24 août 2007).

[^3]: Paru dans le trimestriel Utopie critique de juin 2007.

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