Le déficit démocratique

C’est le grand paradoxe de ces élections municipales : alors que leur rôle se renforce dans la vie des communes, les intercommunalités restent souvent
en arrière-plan des débats. Faut-il élire leur président au suffrage universel ? Un dossier à lire dans notre rubrique **Politique** .

Marc Endeweld  • 28 février 2008 abonné·es
Le déficit démocratique

À l’heure d’aujourd’hui, l’intercommunalité est aussi a-démocratique que l’Europe ! » , s’exclame Jean-Pierre Balligand, député PS, maire de la petite ville de Vervins, dans l’Aisne, et vice-président de la communauté de communes de la Thiérache du Centre. « Il est anormal que des élus qui lèvent l’impôt ne soient pas responsables devant les citoyens » , rappelle l’élu socialiste qui, en 2006, avait déposé une proposition de loi visant à élire au suffrage universel direct les présidents des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI).

Illustration - Le déficit démocratique


Gérard Collomb est maire de Lyon et président de la communauté urbaine de Lyon. MALIE/AFP

Mais Jean-Pierre Balligand n’avait pas grand espoir que son initiative aboutisse, tant, entre élus, les divergences sur cette question sont nombreuses. « C’était pour ouvrir le débat » , explique-t-il. Et cela devient urgent. Car le temps passe, et l’intercommunalité prend une place de plus en plus importante dans la vie locale. Aujourd’hui, 92 % des communes font partie d’une structure intercommunale à fiscalité propre, qu’elle soit communauté urbaine, communauté d’agglomération ou communauté de communes.

Dans un rapport de décembre2007 sur l’organisation des rapports entre l’État et les collectivités locales, l’ancien ministre délégué au Budget, Alain Lambert, estime que l’intercommunalité « a permis de sauver l’action publique des petites communes rurales […], de structurer le développement en zone urbaine » . Bref, satisfecit du côté de la majorité des élus, et nombre d’entre eux continuent d’évoquer sans gêne une « révolution silencieuse » .

Pourtant, dès 2000, la commission Mauroy « Refonder l’action publique locale » était intervenue dans le débat, en préconisant d’élire les conseillers communautaires au suffrage universel… à l’horizon 2007. Nous sommes en 2008, et rien n’a bougé. Résultat, selon le Baromètre Ifop de 2007 « Les Français et l’intercommunalité », 62 % ne savent pas qui est le président de leur communauté.

« Le déficit démocratique est incontestable, et cela entraîne une absence de débat sur le projet territorial » , reconnaît André Laignel, maire d’Issoudun et député européen, qui soutient lui aussi l’idée d’une élection au suffrage universel du président des intercommunalités. D’autant qu’actuellement le règlement des dossiers prime sur les clivages politiques. Car les conseils communautaires sont avant tout des instances de concertation entre les communes. « Mais la recherche du consensus ne devrait pas se faire au détriment des idées, regrette André Laignel, il y a des élus qui sont heureux de dépolitiser. »

Entre initiés, on évoque même « l’entre-soi » communautaire. À travers le développement de l’intercommunalité, des élus plus jeunes, mais également plus diplômés, rompus au travail sur dossiers, se sont investis ces dernières années dans la vie locale, accompagnant la technicisation de la fonction politique. « D’un côté, les élus se plaignent de manquer de légitimité démocratique, et, d’un autre côté, ils sont bien contents d’être entre eux » , souffle un spécialiste de « l’interco ». Quitte à s’approprier les projets portés par l’échelon intercommunal, une fois devant les électeurs au moment des élections…

Alors pourquoi ne pas élire l’ensemble des délégués communautaires au suffrage universel direct ? « Si on élit tous les délégués, on tue la commune, or elle reste le seul ancrage démocratique pour les citoyens » , tranche Jean-Pierre Balligand. « La proposition d’élire au suffrage universel direct le seul président, c’est retourner à une conception personnalisée de la politique, et cela ne répond pas à tous les enjeux de démocratie autour de l’intercommunalité » , critique Céline Braillon, de l’Adels (Association pour la démocratie et l’éducation locale et l’éducation populaire), car le véritable enjeu est de passer d’une logique technocratique de l’entre-soi à une logique dans laquelle sont clairement expliqués les dossiers dans une démarche participative. »

Pour concilier toutes les situations (communes rurales, communes urbaines), l’AdCF (Assemblée des communautés de France) plaide pour le fléchage des délégués communautaires lors des élections municipales et l’expérimentation auprès des communes candidates.

Pour autant, dans ses travaux, la commission Attali a planché sur la mise en place de « super-communes » (environ 6 000), après regroupements et fusions. Pour Gérard Pelletier, président de l’Association de maires ruraux de France, c’est une hérésie : « On ne peut pas regrouper sous une même administration des gens qui habitent à 15 kilomètres les uns et des autres. »

Quoi qu’il en soit, la montée des compétences à l’échelon intercommunal va contraindre les maires à y politiser les enjeux. En novembre dernier, le colloque « L’urbanisme à l’heure intercommunale », organisé par l’association Urba + et l’AdCF, a confirmé le basculement progressif des pouvoirs vers l’intercommunalité. Le sénateur Dominique Braye (UMP) a alors reconnu que « tous les pouvoirs sont doucement en train de basculer vers l’intercommunalité » . Et son collègue Thierry Repentin (PS) a même souligné que, pour ce qui concerne l’urbanisme, « cela se fait sans le dire » . L’intercommunalité se retrouve ainsi au centre de la mise en oeuvre des orientations du Grenelle de l’environnement en matière de politiques de l’habitat et des transports. « Si on enlève aux maires le permis de construire, il leur restera les inaugurations des chrysanthèmes » , ironise un participant.

Mais derrière les débats institutionnels, le véritable enjeu est le gouvernement des villes sur notre territoire. Car l’intercommunalité permet au pouvoir d’agglomération d’émerger : « Il n’y a qu’à voir les politiques qui se positionnent désormais sur les agglomérations parce que c’est là que ça se passe » , confie un élu. Comme Laurent Fabius à Rouen, Thierry Repentin à Chambéry, Gérard Collomb à Lyon ou Martine Aubry à Lille.

De fait, « quand vous tirez sur la ficelle de l’intercommunalité, vous remettez tout à plat, l’ensemble de l’administration des territoires » , remarque Daniel Delaveau (PS), vice-président à la communauté d’agglomération de Rennes, et candidat à la sucession d’Edmond Hervé. « Il est nécessaire d’expérimenter et de clarifier les compétences entre les collectivités, notamment les départements » , ajoute-t-il. Car les cantons urbains restent sous-représentés dans les assemblées départementales. En attendant cette clarification, l’intercommunalité semble au milieu du gué.

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