Antihéros

« Voilà », de Philippe Minyana, met en scène une humanité banale avec une force rare et subversive.

Gilles Costaz  • 3 avril 2008 abonné·es

Ce sont des gens de rien, des gens qu’on rencontre partout, tout le monde donc, mais pas les privilégiés. Les quatre personnages de Voilà, de Philippe Minyana, se retrouvent régulièrement, chez l’un d’eux, une vieille femme qui fait à manger. Avec celle-ci, qui n’a pas toute sa tête, il y a une femme encore jeune, qui dit « vivre dans le passé et le futur » , un jeune homme qui fait du théâtre universitaire et une jeune fille très mal dans sa peau. Le temps passe. Ils se revoient. On ne sait pas si les jours, les semaines ou les années passent. Mais il y a une légère évolution. Les attractions amicales et sexuelles travaillent en souterrain cette humanité qui parle beaucoup mais sans lucidité, qui s’aime mais l’exprime de façon apparemment incohérente…

Philippe Minyana, l’un des grands auteurs du nouveau théâtre qui a pris forme voici une vingtaine d’années, va souvent prendre les mots des gens dans leur bouche même. Il enregistre et, ensuite, fait oeuvre d’auteur. Mais ce n’est pas du théâtre social parce que, précisément, Philippe Minyana réécrit, réinvente, réorganise. Après de très belles pièces, il avait semblé se répéter. Mais avec Voilà, quel choc~! On prendrait cela à tort pour du Deschiens, ce tournoiement de pauvres personnes un peu ridicules et si émouvantes. Ce langage, qui rompt avec la logique et le bien écrit, est d’une force rare, subversive politiquement et esthétiquement.

Florence Giorgetti, qui met en scène Voilà et joue la femme encore jeune, a admirablement compris l’originalité de ce théâtre qu’elle connaît bien et pratique depuis longtemps. Elle a trouvé ce faux laisser-aller qui, lui aussi, rompt avec le déroulement classique du théâtre. Ses partenaires, Émilien Tessier, Nicolas Maury et Hélène Foubert, ont eux aussi cette indécision, cette complexité des tendres et terribles antihéros de Minyana. Pas banale, cette foudroyante vision de la banalité.

Culture
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