Le piège du guichet
De nombreuses préfectures interpellent directement les sans-papiers
qui se présentent dans leurs services, spontanément ou sur convocation. Les associations de défense des étrangers s’élèvent contre ces méthodes.
dans l’hebdo N° 1003 Acheter ce numéro

Grâce aux courriers et à un document interne de la préfecture de Nanterre (Hauts-de-Seine) sortis au grand jour début avril, le dispositif est connu : une première missive enjoint les sans-papiers dont un dossier de régularisation est ouvert à ne plus utiliser la voie postale mais à se présenter « le mardi ou le jeudi matin » en préfecture « pour solliciter l’examen de [leur] situation ».
Second étage de la fusée à expulser, la note interne adressée par le bureau de la Direction de la population et de la citoyenneté « aux agents des sections “accueil” et “contrôle” » explique la marche à suivre « afin d’assurer la reconduite effective des étrangers faisant l’objet d’une OQTF […] ou APRF ». Soit, dans le jargon maison, obligation à quitter le territoire français et arrêté préfectoral de reconduite à la frontière.
En clair, « il a été décidé de procéder à l’interpellation systématique de ces catégories d’individus lorsqu’ils se présentent spontanément au guichet du bureau des étrangers ».
Les arrestations de sans-papiers aux guichets des préfectures se multiplient sur tout le territoire. Huguen/AFP
On pourrait croire à l’initiative isolée d’une préfecture ancrée dans un département favorable à ce genre d’initiative. Nul doute que ni Patrick Devedjian, actuel député et président du conseil général des Hauts-de-Seine, ni Nicolas Sarkozy, son illustre prédécesseur, y trouvent quoi que ce soit à y redire. Seulement voilà, « la préfecture, c’est l’État, l’ordre vient d’en haut, du ministère de Brice Hortefeux. Toutes les préfectures ont reçu les mêmes directives » , assène Jean-Claude Amara, porte-parole de Droits devant !! Et Nanterre n’est pas un cas unique de zèle procédurier : « En ce qui concerne les arrestations aux guichets des préfectures, on a d’autres échos qui viennent d’un peu partout, en Seine-Saint-Denis notamment, confirme Damien Nantes, coordinateur national du service de défense des étrangers reconduits à la Cimade, association de soutien aux migrants. Mais tout cela est cohérent avec une circulaire de 2006 qui détaillait, pour les services préfectoraux et les policiers, les moyens à appliquer pour interpeller les étrangers aux guichets des préfectures en toute régularité. »
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Caroline Larpin, responsable adjointe à la Cimade de la défense des étrangers reconduits, insiste sur l’aspect *« récurrent, touchant tout le territoire » , des interpellations au guichet. « Même s’il est très dur de sortir des chiffres fiables sur cette question, on observe une tendance à la hausse de ces arrestations. » L’association, seule autorisée à intervenir directement dans les centres de rétention, recense différents cas de figure : « Certains se présentent spontanément pour demander des informations sur les procédures de régularisation, d’autres sont convoqués pour examen d’un dossier déjà ouvert. Enfin, il y a les interpellations suite à une demande de régularisation par le travail. » Beaucoup plus fréquentes, les arrestations de ces « personnes titulaires de promesses d’embauche dans des secteurs en tension qui se présentent de bonne foi » irritent particulièrement les associations. Les emplois des 150 métiers dits « en tension » sont réservés en priorité aux ressortissants des pays de l’Union européenne soumis à des dispositions transitoires (Hongrois, Roumains, Bulgares, Lituaniens, etc.). Mais, même si « les communautaires ne suffisent pas à combler les besoins dans le BTP, le textile, l’agriculture et la restauration » , c’est souvent l’interpellation au guichet qui attend les sans-papiers préembauchés.
Un cas très récent, en Seine-et-Marne, fait état d’une femme titulaire d’un contrat de travail et d’une autorisation de la Direction départementale du travail et de l’emploi (DDTE) pour travailler en France. Priée par la DDTE de se présenter en préfecture pour régulariser sa situation, elle a été interpellée au motif d’une obligation à quitter le territoire français, pourtant obsolète. Il aura fallu la vigilance du juge des libertés, qui a délivré la salariée victime de « pratique déloyale de la préfecture » , et la mobilisation de la Cimade pour éviter une situation ubuesque. Mais pour un cas connu au dénouement heureux, combien d’expulsions conclues en toute discrétion ?
Car si certaines informations filtrent depuis les centres de rétention administrative, les locaux de rétention administrative, eux, font montre d’une discrétion très commode : « Ce sont des lieux provisoires, comme un commissariat, par exemple, autorisés sur décision préfectorale quand les centres de rétention sont trop éloignés, explique Caroline Larpin. Là, il est difficile d’entrer en contact avec les personnes retenues, sauf quand un militant repère un tel endroit. Il y en a plus d’une centaine en activité sur le territoire, et ils sont de plus en plus utilisés. » Ainsi, le local de rétention de Choisy-le-Roi a accueilli l’an dernier autant de « retenus » que le centre de rétention de Bobigny. « Que personne ne se présente seul en préfecture ! » , conjure Jean-Claude Amara. « On a fait la tournée d’une trentaine de foyers en Île-de-France, de l’affichage, des séances d’information pour sensibiliser les gens. Les sans-papiers organisés sont donc généralement au courant et n’y vont pas sans être accompagnés. » Les autres se jettent dans la gueule du loup.