Art popu et pieds de nez

Peintre, dessinateur de presse et illustrateur, Mathieu Colloghan brosse l’imaginaire de la gauche avec humour et tendresse,
cultivant notamment l’idée d’« art modeste ».

Marion Dumand  • 19 juin 2008 abonné·es

Le corps puissant se recroqueville. La chemise rose encadre un visage plissé. La clope est au bec car les deux mains sont trop occupées. La première soutient le poids de l’homme, la seconde caresse son crâne au bord de l’explosion. Lecture d’un article du Monde sur la recomposition de la gauche, s’intitule cette toile de Mathieu Colloghan [^2]. Celle-ci et une quarantaine d’autres, exposées à Paris du 18 juin au 20 juillet, illustrent la recherche de ce peintre-dessinateur de presse-illustrateur : fusionner ses différentes facettes. Il en profite pour résoudre en sus une contradiction qui l’a longtemps turlupiné, entre un contenu progressiste et des dessins élitistes.

Pour ce faire, Mathieu Colloghan explore son thème de prédilection : l’engagement à gauche. « C’est l’outil à mes yeux le plus compliqué, explique-t-il. Il me semble important de ne pas le prendre littéralement, mais avec du recul, et de jouer avec mes propres stéréotypes. En fait, de mettre sur toile un imaginaire de façon amicale, de représenter visuellement un camp et des gens assez invisibles. » On croise ainsi un (ou une ?) magnifique Black Panther, qui trône tel un roi dans une rue américaine et pose comme un cow-boy devant une voiture de police. Il s’agit d’un discret et pourtant double pied de nez à deux tendances : ne tirer le portrait que des puissants ou préférer célébrer la représentation médiatique des « rebelles », en revenant par exemple sur une affiche d’Angela Davis ou la photographie des poings levés aux JO.
Poupée zapatiste, détail de manifestations – condensé de toutes les ouvertures des forums sociaux –, Palestinien dont la mort ne tient qu’au trou énorme et dépourvu de sang qui orne son dos, journaliste faisant le beau, oreillette à l’oreille et quotidien dans la gueule… Ce « bestiaire » tire sa cohérence des dominantes rouges, pour le sens, et des masses imposantes, pour la forme. Sans oublier l’humour doux-amer. Un triptyque réunit un esclave, un ouvrier et une femme au foyer. Tandis que les titres s’amusent de leur lien ( Pré-prolétaire enchaîné, Prolétaire à la chaîne, la Prolétaire du prolétaire ), les tableaux les montrent isolés et se détournant les uns des autres.

Le regard politique de Mathieu Colloghan ne se détourne pas de ses toiles. Au contraire, son cheminement artistique y est directement mêlé. Ses références le confirment : Diego Rivera et Hervé di Rosa. Du premier, il retient les fresques qui, dans la rue, s’adressent à tous et mettent en scène l’imaginaire des classes laborieuses mexicaines. Du second, la notion d’« art modeste » : « Il s’agit de ne pas récupérer l’imaginaire populaire, explique-t-il, pour en faire “enfin” une œuvre qui prétendrait bouleverser l’histoire de l’art. Il n’y a pas de honte à faire de la peinture accessible à un premier niveau. » Mathieu Colloghan se désole de ce que « le public est bien plus complexé par la peinture que par la musique ou le cinéma. Face à des tableaux hermétiques, il en vient à penser qu’“il ne comprend pas”. Par ailleurs, les institutions, comme les musées, sont paradoxalement beaucoup moins impressionnantes que les petites galeries ou même les squats, où prévalent trop souvent des codes stricts » . Une jolie manière d’inviter à pousser, l’esprit libre et tranquille, la porte de son exposition.

[^2]: Voir aussi son blog : .

Culture
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