L’œil critique

Chaque samedi, sur France 2, Michel Mompontet assure
« Mon Œil », une chronique lumineuse sur l’actualité de la semaine. Une réflexion sur l’image ludique et pédagogique.

Jean-Claude Renard  • 26 juin 2008 abonné·es

Encastré dans les murs étroits d’une agence de photos, le monsieur a l’œil rivé sur une table de rétroprojection. Forcément, il est penché. Il est arc-bouté sur le méli-mélo de documents éclairés par une franche lumière. S’agit d’y voir de près. Plus clair. Hardi petit. Et d’enchaîner dare-dare.

En février dernier, se déployait un long plan séquence de six minutes concentré sur Nicolas Sarkozy après son discours élyséen sur le projet banlieue. Une caméra à l’épaule, plutôt que de fermer son clapet, continuait de filmer, suivait à la trace son sujet présidentiel un tantinet dérangé devant ce plein fagot d’audace inhabituelle braquant une séance de communication. En mai, quand la Birmanie s’agite, la même chronique observe combien les salauds comptent d’amis (la Chine). Et fixe un Bernard Kouchner, ministre des affaires qui lui sont souvent étrangères, employé par Total. Ben dame, c’est que «la diplomatie arrive toujours après le business».

Au fil des semaines, d’un samedi l’autre, passent au presse-purée les tribulations tragicomiques de la libération du Ponant, les députés bâfrant en hard discount à moins d’un euro le repas, le moral des ménages, guère à la noce. Dès qu’on ouvre les yeux, c’est «la foire à la torgnole, le salon du bourre-pif». Il y a de quoi : manif des agriculteurs, prix de la baguette, fête des patrons du CAC~40. Le poids idéal pour sortir du chapeau le sport en «grand exercice d’hypnose collective».

Mosaïque d’images pour une relecture de l’actualité de la semaine, diffusée chaque samedi, la chronique «Mon Œil» de Michel Mompontet se présente comme un édifice de verve où tout se tient et se contient. Arcs-boutants, piliers, pilastres et chapiteaux. Mompontet additionne, retranche, monte, recoupe. Il discerne. Sans théser. Ça vire alors en implacable. «Mon Œil» repose d’abord sur un travail de montage. Sans disperser façon puzzle. C’est recomposé telle une fresque. À la manière de Masaccio. Suivant un canevas : donner du sens à l’information et, de fait, aux images, érigées en symboles.

Des images puisées dans la réalité nue des rushs, les armoires encombrées de l’INA, les archives de Pathé Gaumont, le débit Internet. Tout ce qui sert à dynamiser le récit, passé à la trappe du poste, oublié. La chronique du 7~juin dernier pourrait avoir valeur de synecdoque, articulée autour de l’impression de déjà-vu, le toutim des archives, leur intérêt dans la confrontation. Et de revenir au journal d’Ockrent en 1983, avec Noah en tête de gondole, quand aujourd’hui Monfils se hisse en demi-finale de Roland-Garros. Façon pépère d’ouvrir la chronique. Avant de signifier «le goût du mensonge intact de l’info» diffusée en 1986 sur Tchernobyl. De poursuivre sur le pouvoir d’achat au casse-pipe, déjà évoqué au journal de l’ORTF en 1966. Redites ? «Des sous, des sous ou bien des Caddies ! Mais les sous ne sauraient être alloués que si nous les possédions !» Propos du Général, auxquels font échos ceux de Sarkozy : «En ce qui concerne le pouvoir d’achat, qu’attendez-vous de moi ? Qu’on vide des caisses qui sont déjà vides ?» Images implacables, toujours. Encore faut-il les trouver. Encore faut-il négocier avec le matériau. Bâtir.

Chef d’orchestre dans la nef, Michel Mompontet n’est pas seul mais suivi par Rémy Deleval, documentaliste en images, fouineur insatiable, et quatre piliers au montage : Myriam Semerjian, Bertrand Guez, Sylvie Mateu et Claire Aubinais. Ils secondent un journaliste qui a exercé dix ans de politique étrangère à «Envoyé spécial», coltiné «aux vices et valeurs du magazine et du documentaire», avant de diriger le service culture de France~2 pendant six ans. En septembre dernier, il inaugurait cette chronique. En ajoutant aux images, et en voix off, un commentaire où caracolent phrases et sentences, virevolte l’adjectif. Une langue piquant ses trilles dans l’argot, l’expression familière. Le verbe danse sur une piste humoristique, ironique. Et toujours juste. Cingler s’acoquine si bien avec la justesse (et inversement). Ni gratuité, ni effet de manches. Mais une correction. Un sens critique. Des fois que le téléspectateur, devant son robinet d’images coulant à flots, n’aurait pas tout retenu, saisi. Il a droit ici à une leçon trempée de pédagogie. Sans prétention. «Juste un œil, un regard. Rien de plus. Rien de moins.»

À la rentrée, Michel Mompontet double la mise au point, repique à la table de rétroprojection : à «Mon Œil» le samedi, va succéder «Mon Pied» le dimanche. Même heure. Pour les coups qui se perdraient (au cul).

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